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10 août 2015 1 10 /08 /août /2015 13:56
Les châteaux de Tinténiac par M. Paul de la Bigne Villeneuve

Le Cartulaire de Saint-Georges à Rennes renferme d'intéressants documents; un des plus curieux est, sans contredit, la convention passée vers 1036, suivant du Paz, par l'abbesse Adèle, sœur d'Alain III, avec un de ses feudataires ou tenanciers nobles nommé Donoal. Elle lui permit de construire un château, « castrum sibi agere, » a Tinténiac, « in Tinteniaco, » a condition qu'il se reconnût l'homme lige de l'abbaye et qu'il ne pût jamais transférer son hommage, dans aucun cas, a nul autre suzerain. De plus, Donoal s'engageait â ne jamais donner asile ni protection a un ennemi de Saint-Georges. S'il faussait son serment de fidélité, il perdait son fief comme parjure et foimentie. « Quod si prefalus Donoalus hujus convencionis quidpiam transgressor fuerit, quicquid sibi honoris Sancti Georgii est concessum amitlat velut perjurus et infidelis. » Le mot honor, dans la latinité du XIe siècle, est synonyme de feudum; c'est le fief confié à la foi du noble tenancier, et plus particulièrement encore le manoir principal, le chef-lieu de la châtellenie féodale. Dès l'époque des empereurs carolingiens, le litre honor s'appliquait déjà aux bénéfices concédés viagèrement aux hommes de guerre par te souverain dont ils suivaient la bannière et â qui ils avaient voué leur service militaire. Ce château de Tinténiac dont l'origine vient de nous apparaître dans la charte de concession d'Adèle a Donoal, fut encore l'occasion d'une transaction postérieure entre la même abbesse et Guillaume, surnommé Ismaélite, qui paraît avoir succédé à Donoal, et était vraisemblablement son héritier. Guillaume avait construit une chapelle dans son château, vers 1060, du temps de Reginald (ou Rainaud), évêque de Saint- Malo. II fut stipulé et accordé entre l'abbesse et Guillaume « son fidèle » que la moitié des oblations faites à ladite chapelle par les paroissiens de Tinténiac, habitant dans l'enceinte du château, appartiendraient au chapelain de Guillaume, l'autre moitié restant à l'église paroissiale dédiée à la Sainte Vierge, et à l'abbesse. Mêmes conditions pour les hommes du dehors, étrangers à la paroisse de Tinténiac. Quant aux paroissiens de Tinténiac habitant en dehors de la forteresse, toutes leurs oblations étaient la propriété de Notre-Dame et de l'abbesse. Je renvoie le lecteur au texte de cet acte, où il trouvera encore de curieux détails sur le casuel ou les droits et rétributions que la législation coutumière accordait aux ecclésiastiques dans certaines solennités du culte et dans l'administration des sacrements de l'Église. Les descendants de Guillaume continuèrent pendant plusieurs générations â porter le surnom d'Ismaëlile, « Ismaeliticus. » C'est au XIIe siècle seulement qu'ils commencent à prendre le nom de Tinténiac. En 1180 et 1197, Guillaume de Tinténiac, dans des donations à Saint-Georges, parle le premier de son père, Guillaume de Tinténiac, et de son oncle, Geoffroi de Tinténiac. Le P. du Paz a appliqué au château de Montmuran les chartes de notre Cartulaire où il est question du château construit par Donoal, « castrutn in Tinteniaco. » Je ne partage pas son opinion. Rien ne prouve que les châteaux de Tinténiac et Montmuran doivent être confondus. Au contraire, il résulte du texte de nos chartes citées ci-dessus, que c'est bien à Tinténiac, in Tinteniaco. que fut fondé le château de Donoal et de Guillaume Ismaélite. Quand a-t-il disparu? L'Histoire de Bretagne nous l'apprend. Ce fut vers la fin du XIIe siècle. En 1168, Henri II, roi d'Angleterre, guerroyant contre Eudon de Porhoët, vint attaquer le château de Tinténiac, le prit, le rasa, le détruisit de fond en comble. « Tintenniacum everlit, » dit la Chronique de Robert, abbé du Mont-Saint-Michel. Nul auteur, nul chroniqueur ne mentionne la reconstruction de Tinténiac, et je crois que les seigneurs de Tinténiac, successeurs des « Ismaélites, » sont les fondateurs du château de Montmuran. Construite sur une éminence qui domine la contrée avoisinante, cette nouvelle forteresse remplaça pour les sires de Tinténiac leur ancien donjon réduit en ruines. Elle doit dater au moins du XIIIe siècle, car en 1269 Olivier de Tinténiac, rendant hommage â Agnès d'Erbrée, abbesse de Saint-Georges, s'engageait â lui payer annuellement, sur ses seigneurie et terres de Montmuran, une rente de 48 livres,pour demeurer quitte des tailles et mangers que percevait l'abbaye sur ses vassaux, ainsi que des ledit Olivier restait concessionnaire. Enfin, une dernière observation a l'appui de ma thèse qu'il ne faut pas confondre Tinténiac et Montmuran c'est que ce dernier château est éloigné de Tinténiac de la distance d'environ deux lieues. Ce ne peut donc pas être là le primitif château de Tinténiac du XIe siècle, castrum in Tintenniaco On me pardonnera cette digression, un peu longue peut être, sur la distinction que je me crois fondé à établir entre les deux chefs-lieux successifs du grand fief de Tinténiac. L'étude des textes du Cartulaire de Saint-Georges m'a semblé une occasion toute naturelle de rectifier la confusion et l'erreur que me semble avoir commises le P. du Paz. On trouvera encore dans le Cartulaire un autre exemple de concession féodale de même nature. Geoffroi, fils de Salomon, obtenait vers 1050, du comte Eudon et de sa soeur l'abbesse Adèle, le droit d'édifier un château-fort, dans un lieu appelé Nulliacum (Noyal ou peut-être, ou bien Nouille, sur le territoire de Mortelles), en reconnaissant relever directement de l'un et de l'autre. Il prenait, du reste, les mêmes engagements que le châtelain de Tinténiac, sous la foi du serment prêté sur les Évangiles et les reliques des saints. Le fief de Geoffroi était vendable, c'est-à-dire qu'il devait, dans certains cas, livrer et rendre sa forteresse à son suzerain, qui se réservait le droit de l'occuper avec ses hommes d'armes pendant ses guerres. Quatre otages, « obsides, » fournis par Geoffroi De plus, Geoffroi fit ratifier la convention par douze de ses plus considérables vassaux, qui jurèrent avec lui en se liant par les formules des plus redoutables anathèmes. L'article des redevances, des revenus ou impôts publics et privés, des services utiles que les seigneurs percevaient sur leurs fiefs et leurs terres, est un de ceu de très-intéressantes particularités. Les redevances, charges, devoirs, prestations et droits imposés sur les terres concédées par les seigneurs de fiefs à leurs tenanciers, étaient de multiple nature. Il y en a de plus d'une sorte énumérés dans le Cartulaire de Saint-Georges : par exemple, les dîmes inféodées, les cens, les rentes en nature, en grains, en vin, en divers autres produits du sol, en animaux, les rentes en argent, Le droit de ban et de semonce féodale, avec les amendes qui en résultaient pour défaut d'obéissance a la justice on à la législation des fiefs; Les coutumes, qui comprenaient toutes les prestations, tous les tributs et devoirs anciennement établis, et qui n'avaient rien d'arbitraire, mais étaient fixes et délimités par l'usage, à la différence des tailles, impôts transitoires, décrétés par l'initiative et la volonté des princes et des seigneurs ; Les redevances appelées « droit de past ou mangiers, » en vertu duquel les vassaux étaient tenus d'héberger et de nourrir, à certains jours, leur seigneur et sa suite, Les tonlieux, ou péages qui frappaient le transport et le passage des marchandises; Les distraits de moulins, c'est-à-dire le privilège attribué au seigneur de fief d'obliger les sujets d'une certaine étendue de territoire a venir moudre h son moulin bannier. D'après les rentiers sommaires que renferme le Cartulaire, on voit en quoi consistaient les coutumes, les cens et les mangiers dans les fiefs de Tinténiac, de Pleubihan, d'Acigné et de la Chapelle-Janson.Sous le fief proche, jurable et rendable que tenaient de Saint-Georges les Ismaélites, seigneurs de Tinténiac, sont nommés plusieurs villages et tenures qui, à titre de coutume, devaient à l'abbaye les redevances suivantes : le tiers de la dime, des redevances à quotité fixe en avoine, celle-ci dite brenage, en pain, en cierges, en rétributions pour les baptêmes, les confessions, les sépultures; la moitié du ban seigneurial et du galoir, c'est-a-dire le droit prélevé par le suzerain sur les biens meubles des individus décédés sans héritiers directs et des aubains ou étrangers. En outre, l'abbaye percevait sur ses vassaux des cens qui, en Tinténiac, se soldaient en menues sommes de deniers. Les tenanciers de Tinténiac acquittaient leur devoir de past, repas ou mangier vis-a-vis de l'abbaye, en lui fournissant certaine quantité de vin, de porcs, de fouaces ou pains, de cire et de poissons...

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