Extrait de Historique des recherches sur le monument funéraire gallo-romain de Langon en Île et Vilaine par Fernand Dauce.
Une tradition extrêmement vivace à Langon avait de tout temps signalé la chapelle Sainte-Agathe comme le remploi d'un temple du paganisme gallo-romain. Ogée sen fait l'écho au XVIIIe siècle, dans son dictionnaire de Bretagne ; et la nouvelle édition de son ouvrage en 1843, maintenait son indication et son texte : « Il y a dans ce bourg une ancienne chapelle que l'on dit avoir été bâtie avant l'établissement du christianisme en Bretagne ; elle servait de temple aux paiëns. Mais, dans l'intervalle, se situe un épisode décisif, qui vaut le titre d'inventeur du monument à Charles Langlois, architecte des monuments diocésains, architecte du département et conservateur des bâtiments de l'Etat . II y eut, plus précisément, deux inventions successives dues à Langlois : celle du monument, en 1839, puis celle de la fresque, en 1841. L'invention du monument fait l'objet d'une notice lue par Langlois à la Société des sciences et arts, lors de la séance du 2 décembre 1839. Retenons-en les indications essentielles : « Chargé par M. le préfet de lever le plan d'une ancienne chapelle du bourg de Langon, arrondissement de Redon, je profite de cette circonstance pour vous soumettre ce que j'ai remarqué de curieux dans ce monument. Cette chapelle, orientée comme les anciennes églises chrétiennes de l'ouest à l'est, se compose d'une nef de 8 m. 50 de long sur 4 m. de largeur, et d'une abside en hémicycle moins élevée, mais de même largeur que la nef, et séparée de celle-ci par une arcade dont le cintre est en briques. L'entrée est sur la façade latérale sud près de l'abside. » « (...) Ce qui frappe d'abord à la vue extérieure de cette chapelle, c'est que la plus grande partie de ses murs est composée, d'après le mode romain du Bas-Empire, connu sous le nom de petit appareil, de cubes de grès de 9 à 11 centimètres de haut st de large, enchâssés dans une épaisse couche de mortier et divisés par quelques cordons de grandes briques ». « (...) Les restes des murs anciens s'étendent sur chaque face latérale, depuis l'extrémité ouest, dans une longueur d'environ 5 m. La façade ouest est aussi en grande partie ancienne, sauf dans une largeur de 1 m. 15 cm. à son centre, et dans la totalité de son fronton qui supporte le toit. L'abside, conserve ausi des traces de l'appareil primitif, et la partie inférieure de la porte d'entrée parait également remonter à la même époque. Quant au prolongement des murs latéraux, et au sommet des murs des extrémités est et ouest dans la hauteur du toit formant un angle aigue ainsi que le dessus de la porte, ils sont tous en moellon schisteux ordinaire, et évidemment plus modernes ». Et la fresque ? Celle qui s'offre maintenant à nos regards se dissimulait encore à ceux de Langlois. Il s'en expliquera en ces termes : « La partie la plus remarquable à l'intérieur est la voûte en cul-de-four de l'abside, sur laquelle un enduit assez épais a été décoré à diverses époques de peintures bien mutilées à la vérité, mais dont il reste encore assez pour faire juger à peu près ce qu'elles durent être. Trois sujets différents y ont été superposés. Le plus récent représente au centre un personnage à genoux, les mains levées sur une espèce de calice. Une autre main, qui appartenait peut- être à un corps placé au-dessus, ou qui seule était l'emblème de Dieu, est étendue sur sa tête et semble le bénir. Cette peinture, qui ne mérite certes pas ce nom, est coloriée au vermillon ; elle est entourée d'un cadre de même couleur bordé d'une teinte jaune. A droite et à gauche du cadre, il semble qu'il existait un autre personnage et quelques décorations en ocre jaune. Au-dessus, le reste de la voûte devait être parsemé de points rouges groupés par cinq et six, très grossièrement faits à coups de pointe de pinceaux. Ce sujet, bien que le plus moderne, est le plus mutilé ; ses formes sont plus arrondies que celles du dessin inférieur. Celui-ci, tracé comme le précédent sur un blanc à la chaux, dérobé en partie par le premier, me semble de style byzantin. Il est tout entier au trait rouge. On n'en aperçoit que la partie à droite de la voûte ; celle de gauche est recouverte par celui que je viens de décrire. « Au centre, dans un cadre ovale, est un personnage dont on ne voit que le haut du corps ; il a la main gauche levée, la tête entourée du nimbe. Au-dessous, à droite, sont trois autres figures entières. L'une, assise au milieu, domine les deux autres placées à ses côtés ; sa main droite est étendue sur le personnage assis à sa droite. On n'aperçoit plus que le sommet jie la tête et l'extrémité d'une main du personnage de gauche. Les deux premiers portent le nimbe. Au-dessus de ce groupe est une inscription dont il ne reste pas un mot entier. Les seules lettres que j'aie pu assembler sont arsen... biteri... La première lettre, a, est même incertaine. Sous leurs pieds existent encore des traces de lettres. Le caractère de ce dessin semble le faire remonter au xie ou au xne siècle. Il est très fruste ainsi que le premier qui le recouvre. « Enfin, au-dessous de celui-ci en apparaît un troisième évidemment plus ancien encore, et cependant en quelque sorte plus savant. En effet, celui-ci est peint de diverses couleurs ; mais les badigeons supérieurs n'en laissent apercevoir que quelques fragments de si peu d'étendue qu'il est impossible d'en connaître le sujet. Je ne sais, en vérité, par quel nom désigner les objets que j'ai cru distinguer ; mais, cependant, je crois que ce serait à des poissons qu'ils ressembleraient davantage. J'en ai pu dessiner trois de diverses dimensions. « Le fond du tableau est gris-bleuâtre ; au bas de la voûte, cette teinte semble devenir verte. Le dos des poissons, si ce nom peut leur être appliqué, est lavé en brunrouge, le ventre est bleu-gris plus pâle que le fond. A l'extrémité droite sont deux espèces de fleurs formées par un trait bleu-clair. Cette peinture est tracée sur un enduit fort épais, composé d'une première couche de chaux et sable, et d'une dernière plus mince et unie, qui semble formée de chaux et de quelques parcelles de briques très rares » La curiosité de Lânglois fut éveillée par cette fresque, sur laquelle il faisait déjà des hypothèses audacieuses. Mais, ajoute-t-il : « II est maintenant impossible de rien décider à son égard, et malgré tout le désir que j'avais de pénétrer ce mystère, ne pouvant le faire qu'en dégradant encore davantage le dessin byzantin qui recouvre le tout, j'ai dû m'en abstenir et attendre que l'on ait fait sur les premières compositions toutes les remarques possibles ». Et la notice se termine sur ce bilan : « D'après la demande qui m'en était faite, j'ai relevé les pians des quatre faces extérieures et intérieures, et pris une vue des peintures de l'abside. La reproduction de tous ces plans par la lithographie étant trop dispendieuse, je n'ai pu joindre au présent que le dessin des deux principaux sujets représentés sur la voûte de l'abside, qui sont le dessin byzantin et la partie apparente de la première fresque, puis une vue géométrale de la façade latérale sud, et une de la façade ouest ». Nous savons que les choses devaient aller plus loin sans qu'il y eût à attendre longtemps. Les archives d'Ile-et-Vilaine possèdent quatre lithographies de Langlois. Les trois premières se rapportent à sa conclusion. Elles portent la signature de Lânglois, pour le trait ; et, pour la gravure, celles de Landais et Leroy, à Rennes. L'une a pour légende : « Dessin au trait rouge existant à la voûte de l'abside de la chapelle de Langon, dépt d'Ile-et-Vilaine », avec cette remarque : « Les objets ponctués à droite font partie d'une fresque antérieure au dessin principal. » II s'agit des poissons qui transparaissent au travers de la fresque dite byzantine. Une autre lithographie s'intitule : « Elévation géométrale de la façade Sud de la Chapelle de Langon, dép.t d'Ille-et-Vilaine. » Elle mentionne les dimensions de la ports latérale (ouverture 0,95 ; bâti 2,33) et celles de la meurtrière (0,31 X 0,70). La troisième se définit ainsi : « Elévation géométrale de de la façade Ouest de la chapelle de Langon, dép.t d'Illeet-Vilaine. » Elle chiffre d'autres mensurations : la largeur de^tédifice, 4 m. 29, et la largeur de la partie moderne, au milieu, 1 m. 15. Et la quatrième lithographie ? Légèrement postérieure, elle porte, à côté de la signature de Langlois, celle du graveur Landais, à Rennes. Elle se compose de deux parties : en haut, une vue d'ensemble de la fresque de Vénus anadyomène ; en bas, un détail de cette fresque, le buste et le mouvement du bras de Vénus présentée comme retenant des bandelettes. Elle est titrée et datée : « Peinture à fresque, présumée antique, découverte à la voûte de l'abside de la chapelle de Sainte-Agathe de Langon (dépt. d'Ille-et-Vilaine), 1841. » Langlois avait sacrifié les deux fresques' extérieures pour parvenir à la plus ancienne, et il nous a laissé la date de cette seconde invention. Les archives d'Ille-et-Vilaine possèdent également, sur une même feuille, deux petits dessins portant cette mention manuscrite : « Dessins de M. Langlois ». Ils représentent, l'un la fresque dite byzantine, l'autre la Vénus anadyomène. La tradition dont Ogée se faisait l'écho disait juste, lorsqu'elle situait la construction du monument « avant l'établissement du christianisme en Bretagne » ; mais, en indiquant qu'il « servait de temple aux païens », elle restait au niveau d'une approximation. Langlois, inventeur méritoire, fut un interprète malheureux. Il a fort bien reconnu les murs anciens comme bâtis « d'après le mode romain du Bas-Empire, connu sous le nom de petit appareil » ; mais, paradoxalement, se& déductions marquent un recul sur celles d'Ogée. Il écrit : « Plusieurs personnes, en se fondant peut-être sur cette autorité, et encore sur la forme de l'appareil romain employé pour l'érection primitive de cette chapelle, prétendent qu'elle dut être un temple païen ; mais je doute qu'on puisse appuyer cette idée sur des raisons bien certaines. La religion dominante dans les campagnes, même au VIe siècle, était encore le druidisme, qui n'avait point de temples, puisque saint Armel, venant à cette époque fonder le monastère au lieu qui porte encore son nom, eut à combattre cette ancienne croyance au Teil et à Retiers, là où nous voyons encore des vestiges réellement irrécusables de ce culte proscrit, vestiges qui sont un des plus beaux dolmens connus, et les débris d'un menhir, mais où il n'est nullement question de temples romains ». Il est difficile d'amonceler autant d'erreurs en si peu de lignes. Ce seraient les Celtes qui auraient élevé les mégalithes; il n'y aurait jamais eu de paganisme romain dans les campagnes proches de Langon, au temps de l'occupation romaine ; au vr siècle, la religion dominante de ces campagnes aurait été le druidisme à l'état pur... Les origines de ces erreurs se situent dans trois perspectives. D'abord, à l'époque de Langlois, l'archéologie sortait à peine de l'enfance. Puis, par une fatale imprudence, sa notice était publiée avant l'invention de la fresque aux poissons. Enfin, ses fonctions d'architecte diocésain l'orientaient vers des idéaux peu compatibles avec les réalités de Langon. Pas de paganisme romain, pas de temples druidiques : Langlois, raisonnant par élimination, tend à faire voir dans le monument une chapelle élevée au temps du christianisme. Il souligne qu'elle est « orientée comme les anciennes églises chrétiennes de l'ouest à l'est » (15). Il estime que la disposition du lieu semble « tout à fait en rapport avec ce que nous connaissons des anciennes chapelles chrétiennes, qui étaient oblongues et terminées par une abside circulaire, et que les premiers monuments consacrés à cette religion, en Bretagne, durent s'élever de ce côté par où pénétrèrent ses premiers apôtres ». Suit alors une dissertation sur les dates de pénétration du christianisme en Bretagne, et sur celles de son libre exercice. Langlois évoque le prosélytisme de saint Clair, premier apôtre de Nantes, sous le règne de Constance Chlore ; et il ajoute, avec quelque hésitation : « L'esprit de prosélytisme put donc bien parvenir jusqu'à Langon, et dès cette époque on aurait déjà pu élever en ce lieu une chapelle qui, dans les moments de réaction, servit peut-être à un autre culte ou même à d'autres usages ; dans laquelle, si l'on veut, les grossiers néophytes purent bien adorer simultanément Jésus-Christ et leurs dieux déchus, et y confondre encore l'ancienne et la nouvelle religion, mais sans qu'on puisse pour cela lui enlever son premier titre qui dut être tout chrétien. Après tout si, à la rigueur, les circonstances dont je viens de parler prouvent que, dès ce temps, l'établissement d'une chapelle n'était pas déjà impossible, il n'est pas nécessaire de faire remonter son origine aussi loin pour expliquer le genre de sa construction, qui fut encore en usage longtemps après cette époque. « (...) Une des preuves que la religion fut toujours florissante dans ce pays, et que des fondations religieuses purent y exister à une époque reculée, c'est que dès 485 saint Melaine, habitant du village de Brain, près de Langon, mérita d'être élevé sur le siège épiscopal de Rennes, et l'influence d'un apôtre si dévoué, jointe aux efforts de ses prédécesseurs, dut puissamment contribuer au progrès de sa doctrine. Je serais donc porté à croire que. la chapelle qui fait le sujet de mes recherches dut être élevée au plus tôt vers ce temps, c'est-à-dire à la fin du Ve siècle ou au commencement du VIe ; et treize ou quatorze siècles d'existence me semblent longs pour un aussi chétif bâtiment que je le croirais bien volontiers plus moderne. Mais à cette époque le genre de construction désigné sous le nom de petit appareil étant généralement le plus commun, et l'emploi de la brique étant aussi très fréquent, cette circonstance pourrait être favorable à cette origine reculée. Elle contribue à prouver du moins qu'il n'est pas nécessaire de remonter à une période antérieure à l'introduction du christianisme en Bretagne, pour y expliquer la présence d'un mode de construction antique, d'autant que cette province, toujours éloignée du centre des progrès, reçut toujours plus tard les nouveautés, et conserva plus longtemps les anciennes coutumes ». Langlois doit pourtant concéder que le petit appareil du Bas-Empire n'a pas gardé, après le IXe siècle la régularité parfaite qu'on lui voit dans la chapelle de Langon ; et il conclut « que si elle a pu être érigée dès le vie siècle, il n'est pas probable qu'elle le fût après le IXe ». Bref, il s'agirait d'une chapelle chrétienne, qui put être à certains moments réemployée par des paganismes divers. Langlois, qui niait les résurgences religieuses pour éliminer une hypothèse païenne, se montre ici plus réservé. En fait, Langlois jouait de malheur, et courait à une cruelle mésaventure. Lorsqu'il rédigeait sa notice, il lui manquait un élément essentiel : la fresque de Vénus. Cette fresque, qui allait dater le monument de l'époque du paganisme, était masquée par deux fresques postérieures. Il n'en transparaissait que des objets mal distincts, et pourtant bien identifiés par Langlois, lorsqu'il écrivait : « Je crois que ce serait à des poissons qu'ils ressembleraient davantage. J'en ai pu dessiner trois de diverses dimensions ». Ces poissons ne gênent pas l'orientation de Langlois, qui les fait pénétrer, toujours avec prudence, dans un symbolisme chrétien mitigé. Il déclare : « Bien que ce sujet semble d'abord tout profane, il serait possible de lui trouver un but fort religieux. Ainsi, dans les premiers siècles de l'Eglise, les chrétiens, parmi leurs représentations symboliques, admirent le poisson et l'agneau comme emblèmes de Jésus-Christ. Le premier fut usité chez les Grecs ; le second chez les Romains et les Juifs, et l'on a découvert dernièrement à Autun une inscription en vers grecs remarquables qui confirme cette tradition. On y trouve entre autres les passages suivants, dont la traduction française est : « Le poisson céleste, à la génération divine, au cœur sacré, a vécu s'étant manifesté « immortel parmi les mortels. Dans les eaux divines, frère, « ensevelis ton âme ! Vogue sur les eaux dans les nefs de « la sagesse, prodigue en trésors. » Et plus loin : « Du « Sauveur des saints prends l'aliment, doux comme du « miel, mange, bois, tenant le divin poisson en tes mains ! » Je doute que dans le tableau dont je m'occupe, les poissons aient la même valeur que dans cette inscription. En effet, placés à l'angle de la voûte, ils semblent n'être qu'un accessoire d'un sujet principal ; mais cependant il pourrait fort bien y avoir entre eux conformité d'origine. Ainsi, les Grecs se désignaient eux-mêmes comme les petits poissons que protège le grand poisson leur père. Plus tard, lorsqu'on osa représenter le Christ sous une forme humaine, l'allégorie en fit un pêcheur, et il existe un bas-relief où Dieu, une ligne à la main, retire de l'abîme les hommes sous la forme de poissons. Si le tableau que j'ai découvert avait quelque rapport avec cet antique symbole, il serait remarquable ». Langlois ajoute, dans l'espoir de parvenir à une datation plus précise entre le vie et le ixe siècle : « Si la première peinture de son abside était mieux connue, elle pourrait peut-être donner quelque renseignement à ce sujet ». C'est à lui-même que devait échoir cette connaissance fatale à ses hypothèses. Si remarquable que fût la découverte, il ne semble l'avoir accueillie qu'à regret. Sur la lithographie de Vénus anadyomène, il inscrit avec réserve : « Présumée antique », et il fait figurer cette note : « La figure centrale et les bandelettes qu'elle porte sont ombrées en brun rouge ; le dos des poissons est brun, leur ventre bleu azur, le fond du tableau est bleu plus pâle ; les contours sont tracés par un trait brun, mais non gravé. La moitié gauche du sujet est détruite. Cette peinture, découverte soùs un dessin de style roman, semble, d'après cet indice, devoir remonter à une époque reculée, ainsi que la partie de construction sur laquelle elle est appliquée ; au reste, la nef de cette chapelle, malgré l'aspect antique de l'appareil de ses murs, pourrait bien n'être qu'une reconstruction postérieure, quelques-uns des cordons qui les décorent n'étant composés que de tuiles et non de briques ». Deux affirmations, deux erreurs : l'une pour les bandelettes, l'autre pour la nef. D'autres erreurs seront commises par l'abbé Brune, directeur du Grand séminaire dé Rennes. Dans son Cours d'archéologie, l'abbé Brune reprend la description des fresques telle que la donnait Langlois dans sa notice de 1839 ; mais il semble ignorer la mise au jour de la Vénus anadyomène en 1841. Or, le cours a été publié en 1846. Cette omission lui permet de conclure en un sens que l'invention de la fresque antique excluait : « Quant à l'époque de la construction de cette chapelle, il n'y a rien de certain, si ce n'est que sa forme, l'appareil de ses murs, et les plus anciennes peintures de son abside, semblent indiquer les premiers temps de la période romane ; et l'on peut croire, sans trop de témérité, qu'elle fut un des premiers oratoires élevés dans notre pays par ceux qui y vinrent prêcher l'Evangile ». Elle lui permet aussi de soutenir l'opinion de Langlois sur les poissons symboliques, dans les termes suivants : « II est bien probable que si l'on pouvait découvrir l'ensemble de cette première peinture, on retrouverait une composition analogue à celle dont les premiers chrétiens se servirent si souvent pour figurer la vocation des hommes au salut, et où ils représentaient le Sauveur sous la forme d'un pêcheur, prenant à l'hameçon les poissons figurant les âmes. Nous avons vu, en parlant des peintures des catacombes, comment la figure du poisson ' était devenue l'emblème de Jésus-Christ, et, par extension, de tous les chrétiens ». Nous verrons plus tard, à l'Association bretonne, que l'abbé Brune connaissait cette fresque en 1850. Le compte rendu de la séance indique : « L'ordre du jour appelle ensuite la 5e question, ainsi conçue : « Signaler et décrire les monuments religieux antérieurs au Xe siècle existant dans le département d'Ille-et-Vilaine. » « En réponse à cette question, M. l'abbé Brune décrit la chapelle gallo-romaine de Langon, seul monument religieux de l'Ille-et-Vilaine dont on puisse placer la construction avant le Xe siècle (...). Sur la voûte de l'abside sont appliquées trois couches de peinture à fresque qui se recouvrent l'une l'autre. M. Langlois, architecte des bâtiments diocésains, en dégradant la fresque extérieure et la fresque intermédiaire, est arrivé jusqu'à la dernière, c'est-à-dire jusqu'à la plus reculée et la plus ancienne ; on y distingue, sans difficulté, une femme dans une pose fort académique et qui semble quelque divinité ancienne. La fresque intermédiaire porte trois personnages exécutés d'une manière assez rude, que l'on peut prendre pour une Trinité, et audessous plusieurs figures de poissons, représentations symboliques du Christ et de la primitive Eglise. « (...) Il est à peu près impossible d'assigner à la chapelle Sainte-Agathe de Langon une date quelque peu précise ; mais elle est sans doute la plus ancienne de tous les monuments chrétiens d'Ille-et- Vilaine » . On voit que, par mégarde sans doute, l'abbé Bruns place les poissons, non dans la fresque de Vénus, mais dans la fresque intermédiaire. Dans de telles conditions, il devient plus facile de couvrir ses développements et ceux de Langlois sur leur symbolisme chrétien ! Le reste de l'interprétation de l'abbé Brune demeure également ambigu. L'origine païenne de l'édifice lui semblait pénible à avouer. En 1863, à la Société archéologique d'Ille-et-Vilaine, La Borderie fera remarquer, avec beaucoup de finesse diplomatique, « que le sujet de la fresque, constaté par les observateurs attentifs et reconnu pour une représentation de Vénus anadyomène, est précisément ce qui ferait du petit édifice qui la contient le spécimen, unique aujourd'hui en Bretagne, d'un édicule païen approprié au culte chrétien ». Une excursion à Langon est décidée par la Société archéologique. Elle a lieu, et il nous en reste un. compte rendu dont nous détacherons les lignes suivantes : « M. de Kerdrel reprend ensuite la parole et décrit la chapelle de Langon : « Le plan est celui d'une petite basilique ; l'appareil des murs est gallo-romain ; l'ensemble offre l'apparence d'une église du Ve ou du VIe siècle. A l'intérieur, dans l'abside, sous une voûte en cul-de-four, une fresque représente une femme nue sortant des" eaux et s'élevant dans les airs ; «Ile est entourée de poissons et tient au-dessus de sa tête une banderolle flottante; le dessin est antique. « (...) Cet édifice est certainement païen dans le petit hémicycle. La partie rectangulaire est-elle aussi païenne ? Question intéressante posée par le rapporteur, et qu'il examine ainsi qu'il suit : « La nef, dit-il, est peut-être postérieure à l'abside, ce qui expliquerait la solution de continuité que l'on remarque dans la maçonnerie gallo-romaine de la partie rectangulaire, dans le voisinage de l'abside. Les matériaux des cordons qui séparent les assises ne sont pas les mêmes dans ces deux parties : ce sont des briques dans l'abside, et dans la nef des tuiles à crochets, tegulae. Il y a aussi quelque variété dans la disposition des cubes. « On peut supposer, continue le rapporteur, qu'il y a eu autrefois deux absidioles ou bras de transept qui ont été détruits. Pour s'en assurer, il faudrait pratiquer des fouilles ; s'il y a eu des transepts, on ne retrouvera les fondations. Il existe, ajoute M. de Kerdrel, des temples romains dont le plan comporte un rectangle terminé par un hémicycle, quelques-uns avec transepts ». Une discussion s'instaure sur l'identité du personnage •central de la fresque : Amphitrite ou Vénus ? Le rapporteur soutient la seconde thèse, et souligne que : « Ce qui le détermine par-dessus tout, c'est le rapprochement fait l)ien des fois entre l'existence de la fresque de Langon et cette date du Cartulaire de Redon : « Hoc factum est in ecclesia Sancti Veneris in Langon ». Puis on revient encore au gros œuvre : « M. Duret émet quelques observations sur la construction gallo-romaine de la chapelle, comparée aux monuments romains qu'il a vus et étudiés. Il ne croit pas à l'existence des transepts ». Des fouilles sont décidées, elles sont faites, et elles sont ainsi commentées dans la séance du 10 mai 1863 : « M. de Kerdrel lit un rapport sur l'excursion de Langon et les fouilles qui y ont été pratiquées le 3 mai. « Ces fouilles avaient un double but : 1° savoir si l'édifice actuel avait autrefois composé deux édifices distincts, l'abside circulaire et la partie rectangulaire ; 2° s'il avait existé des transepts. « Sur le premier point, las disparates que l'on avait cru remarquer entre les deux parties de la chapelle n'existent pas ; c'est un seul et même édifice. Las cordons de briques se font suite, suivant une ligne légèrement inclinée de 25 à 30 centimètres. « En second lieu, les fouilles ont constaté qu'il n'a jamais existé de fondations de transepts ; celles de la partie rectangulaire et celles de l'abside sont de même nature et antiques. « (...) Passant à l'examen de l'intérieur de la chapelle, l'honorable rapporteur dit que la fresque de l'abside est évidemment païenne ; elle représente une femme nue au milieu de poissons ; ce sujet, que l'on retrouve dans des peintures analogues découvertes en Afrique, est certainement romain et païen ; l'enduit de cette fresque est très solide, très dur ; il a 3 centimètres d'épaisseur, tandis que l'enduit de la peinture grossière et très moderne qui la recouvre est mince et fragile « Le dauphin figuré dans cette fresque est l'attribut de Vénus marina ; sa présence déciderait que le personnage est une Vénus et non une Amphitrite. Il existe plusieurs types de Vénus anadyomène; celui-ci est plus probablement la Vénus marina. « II y a d'ailleurs un rapprochement digne de remarque entre le nom de Vénus et le vocable de chapelle Saint Venier, attribué à la chapelle de Langon depuis le IXe siècle jusqu'en 1674, dans le cartulaire de Redon et sur les registres de baptême de la paroisse. « Ce monument est donc un des rares témoins, en Bretagne, de la transition du culte païen au culte chrétien ». Nous revenons ainsi à une assez bonne approximation. La datation du monument à l'époque du paganisme est affirmée, sa structure est étudiée dans les détails. Une hypothèse, celle des transepts, est écartée. L'identification de Vénus s'appuie sur un dauphin, et sur le cartulaire de Redon. On s'obstine seulement à l'orner de banderolles. Peu avant ces travaux, en 1862, Adolphe Kiessling faisait à Baie une importante découverte : celle d'un manuscrit où se trouvait copié le testament d'un Lingon. Des indications capitales y étaient fournies. Le tombeau du Lingon était édifié en forme d'exèdre. Devant le monument se dressait un autel en marbre. A ses alentours, s'étendait un domaine funéraire, planté en verger. Alfred Ramé, haut magistrat, qui fut un temps procureur général à Rennes, fit l'application de ces données nouvelles à l'édifice de Langon. Il écrivit, en 1866 : « Ce serait une grande erreur de considérer la chapelle actuelle comme formant un tout homogène. Aujourd'hui l'abside est adhérente à la partie rectangulaire : les murs de l'extrémité occidentale ont été prolongés jusqu'à leur rencontre avec l'hémicycle oriental. Mais à l'origine ils en étaient séparés par un intervalle libre de 3 m. 60 cm. « (...) Il n'est pas besoin d'être un archéologue consommé pour reconnaître qu'au nord comme au sud cette longueur de 3 m. 60 cm. n'est qu'un remplissage relativement moderne, exécuté à l'époque où l'édicule antique a été transformé en chapelle. Alors a été établie la porte étroite et cintrée qui donne aujourd'hui accès dans l'intérieur, et qui est bâtie en grès ferrugineux, avec piédroits à simple chanfrein et torsade, comme les plus anciens monuments romans. Un détail de construction, indépendamment de la correspondance symétrique de ces deux larges ouvertures, peut servir utilement à déterminer l'état primitif. L'appareil des angles diffère de celui de la masse des murs : au lieu d'être cubique, ou peu s'en faut, il se transforme en appareil allongé, formé de tables de schiste de 45 à 50 centimètres de longueur, sans que la hauteur des lits, qui est de 6 à 7 centimètres, éprouve de variations.
Sarcophage cliché édition Le Flohic
Ce caractère se retrouve au point A, comme aux autres angles, et montre bien l'intention des constructeurs d'arrêter le mur antique à cet endroit ». Cette observation de Ramé donne une force toute particulière à l'interprétation que suggérait déjà la discontinuité des murs gallo-romains. Ramé se trouve donc en droit de conclure : « Ces conditions du plan primitif concordent parfaitement avec celles que le testament de Bâle nous a révélées. La construction rectangulaire représente la cella memoria.er l'abside est Vexedra prescrite par le testateur. Entre les deux, dans l'espace demeuré libre, pouvait se dresser l'autel du sacrifice, araque ponatur anite id aedificium. Enfin les dimensions de l'enclos funèbre, area, pomarium, nous sont données par celles du cimetière même dans l'enceinte duquel subsiste encore Pédicule, et où a pris place côte à côte avec lui l'église paroissiale. Il est vrai que d'après le testament de Bâle, l'édifice funéraire devait être clos, mais cette précaution n'était pas toujours observée. Nous trouvons, sur la voie des Tombeaux, à Pompéï, un bel exemple d'exèdre funéraire qui était ouvert, comme nous supposons que le fut celui, beaucoup plus modeste, de Langon. Cette destination sépulcrals n'a pas seulement l'avantage d'expliquer le plan du monument, qui ne peut convenir à un temple, elle explique encore sa conservation ; car au VIe siècle la protection de la loi civile demeurait attachée aux tombeaux, alors qu'elle était enlevée aux édifices consacrés au culte du paganisme. « Quand le christianisme s'établit dans sa place, une couche de chaux fit disparaître de l'exèdre les dernières traces du paganisme des Vénètes et la voûte reçut une décoration mieux appropriée à la destination nouvelle de l'abside. Mais le souvenir des populations demeura fidèle au vieux culte : pour elles le nom de Vénus resta attaché à l'édifice et la vénération pour l'image disparue persista d'une manière si inquiétante que le culte nouveau usa d'un compromis dont on a cité d'autres exemples. De même que le vocable de saint Bach se trouvait prédestiné à sanctifier les lieux jadis consacrés à Bacchus, celui de saint Venier parut propre à faire oublier Vénus ». Avant d'en finir avec le gros œuvre, mentionnons une appréciation sévère de Ramé sur la question du transept : « Des archéologues novices, croyant à l'existence d'un transept que démentait suffisamment l'aspect de la maçonnerie, ont, dit-on, fait des fouilles récentes au point de liaison de la maçonnerie du Moyen-Age avec la construction romaine. Ils n'ont découvert aucune substruction, comme il était facile de le prévoir. Il est donc bien avéré que l'édifice primitif ne comportait pas plus de retour d'équerre au nord et au sud que de prolongement vers l'orient ». Le réquisitoire de Ramé n'est qu'à demi courtois ; il n'est qu'à demi juste. Le retour d'équerre n'implique aucune datation, aucune origine religieuse ; il ne se heurte à aucune impossibilité, pour peu qu'on l'estime postérieur à l'édification du monument funéraire. Pour la fresque, Ramé, qui apparaît bien comme l'interprète majeur, fait des remarques aussi pertinentes que pour les murs : « Sur un fond glauque, destiné à représenter la mer, s'agite dans l'élément liquide une foule de poissons de formes diverses. Les uns ont la tête obtuse et arrondie du rouget ; les autres la forme allongée de l'anguille ; un troisième a la protubérance nasale de l'espadon ; quelquesuns se font la guerre, les plus gros dévorent les plus petits; çà et là se meuvent des corps globuleux analogues à nos oursins de mer. Le coloris de cette population marine n'offre pas autant de variété que la forme. Le dos est uniformément dessiné au brun rouge, le ventre est bleu, et la ligne médiane du corps blanche. Au centre se dessine le contour à peine saisissable d'un corps de femme entièrement nu, et presque de grandeur naturelle ; la portion inférieure du torse et le bras droit ont disparu avec le fragment de voûte. Le bras gauche relève dans une attitude bien connue les tresses d'une blonde chevelure. Tels, sur la belle mosaïque de Constantine, aujourd'hui déposée au Louvre, s'avancent Neptune et Amphitrite. Ce que le peintre a voulu représenter ici, c'est Vénus, la Vénus marins, Vénus anadyomène, dont la statuette en terre cuite se retrouve dans toutes les fouilles gallo-romaines, mais dont la représentation peinte n'existe plus nulle part en France. Elle est suffisamment caractérisée par l'Amour qui vogue à ses côtés à cheval sur un gros dauphin. Le dessin qui accompagne cette note, et que j'ai scrupuleusement relevé en 1861, fait connaître mieux que toute description la disposition de la scène. M. Langlois n'avait pas reconnu la présence caractéristique de Cupidon. En figurant le dauphin, il avait substitué sur sa lithographie au corps du petit dieu un bout de draperie, dont la déesse se débarrassait comme une écharpe.
Cliché Wikipédia
En réalité, Vénus n'a que sa chevelure pour vêtement, et si la tête de l'Amour n'est plus visible aujourd'hui, ses ailes, ses bras, tout son corps subsistent. Le sujet de la peinture ne peut donc prêter à aucune équivoque. En face d'une représentation purement païenne, il n'est plus douteux que la construction de Pédifice qu'elle décore ne soit antérieure à la prédication du christianisme ». Nous obtenons enfin une description précise de la fresque. Cette précision produit aussitôt ses effets. M. de Kerdrel avait eu le mérite de reconnaître le dauphin, attribut de Vénus marina; mais il n'avait pas vu Eros, et il s'obstinait dans une idée de banderolle que Ramé remplace à juste titre par la chevelure de Vénus. On note aussi jusqu'à quel point les propos de Langlois sont repoussés dans les lointains des âges héroïques de l'archéologie. Le savant chanoine Guillotin de Corson n'hésitera nullement à reconnaître : « La chapelle (...) est, de l'aveu de tous les archéologues, un édifice gallo-romain ». Venant à la fresque, il ajoute : « C'est la plus ancienne peinture païenne, demeurée à sa place primitive, que possède la France. « Lorsque le christianisme s'établit dans nos pays au VIe siècle, on résolut d'utiliser cet édifice en en faisant une chapelle : pour cela, on réunit par des murailles l'abside et le rectangle se correspondant, on y ouvrit une porte et des fenêtres, et la voûte reçut une décoration appropriée à la destination nouvelle de l'abside. Puis, par un compromis dont on a d'autres exemples, le culte de saint Vénier parut propre à faire oublier Vénus, dont la représentation demeurait dans le souvenir des habitants de Langon » Prouvant à nouveau combien l'histoire est précieuse comme science auxiliaire de l'archéologie, Guillotin de Corson, se reportant aux archives, nous décrit Langon aux VIIIe et IXe siècles. C'est une colonie bretonne, qui appartient, en 797, à un mactiern nommé Anau. Un comte franc, Frodalt, envoie deux scabins pour enquêter sur les titres d'Anau et de ses colons. Anau, assisté de douze témoins, jure que le bourg lui appartient par droit héréditaire, comme l'avaient occupé ses ancêtres de temps immémorial. Trois prêtres bretons sont présents. En 834, les moines de Redon deviennent seigneurs de Langon. L'empereur Louis le Débonnaire donne en effet ce territoire à saint Conwoïon, leur abbé. En 838, le prêtre Agon, fils d'Anau, se retirant au monastère de Redon, donne aux moines sa propriété de Langon, en vertu d'un acte passé in ecclesia sancti Veneris. Guillotin de Corson relève qu'il est fait mention de Francs mêlés aux Bretons : ce qui, joint à l'intervention de l'autorité carolingienne et à l'institution franque des scabins, donne à la paroisse bretonne de Langon une physionomie à demi-franque. En tout état de cause, tant par le fait des premiers occupants que par celui de la colonisation bretonne, le pays est chrétien « de temps immémorial », et il possède, à côté de l'église Saint-Pierre, une chapelle chrétienne, « Sancti Veneris . Les hypothèses incertaines auxquelles s'ingéniait Langlois font place à des preuves scientifiques. On établit que le druidisme n'était qu'une philosophie, qui persista en Gaule au moins jusqu'à la fin du me siècle, mais disparut au IVe. Et aussi, que ce qui constituait réellement l'Olympe gaulois se fondit avec les dieux romains correspondants, sous réserve de survivances et de résurgences. Et encore, à quel point fut prompte et générale cette diffusion des dieux de l'Empire à travers la Gaule et jusqu'en Armorique. Les statuettes de Vénus se retrouvent en nombre dans l'Ouest : et plusieurs sont des œuvres gallo-romaines, portant une inscription gauloise. Le christianisme, persécuté, puis toléré, puis triomphant, se montra de suite intolérant lorsqu'il s'instaura chez les païens d'Armorique. La Borderie affirme, en évoquant l'édit d'Honorius, de 399 : « On ne peut douter que (...) l'église de Rennes ne se soit constituée vers la fin du IVe siècle, c'est-à-dire juste au moment où Honorius attribuait aux églises les édifices, les enclos, les possessions, les trésors des temples païens. Mesure qui fut exécutée à Rennes comme ailleurs, peut- être plus vite et plus strictement qu'ailleurs, parce que la nouvelle église, fraîchement organisée, et par suite encore mai installée, dut avoir hâte de se mettre au large dans l'établissement beaucoup plus confortable du culte païen ». On ne change pas de religion par la grâce d'un édit.. Les païens, spoliés de leurs temples, se tournèrent vers les seuls monuments sacrés qui leur demeuraient accessibles : les mausolées, protégés par les lois assurant le respect des morts. Une sépulture comme celle de Langon, associée à l'image d'une divinité funéraire, constituait déjà un sanctuaire. Sans doute est-ce la saisie des temples qui fit de Langon un centre de culte. Il s'agit moins d'une hypothèse que de l'explication d'un fait, justement souligné par La Borderie : « Malgré sa destination funéraire, ce petit édifice, avec son autel et son triomphe de Vénus, devint bientôt un sacellum ou petit temple rustique dédié à cette déesse». L'interprétation semble proche de la perfection, et le dossier de Langon paraît clos. C'est alors que, pour la stupeur bien légitime des spécialistes, intervient la fantaisie de deux hommes de science : Léon Maître, archiviste de Loire-Inférieure, et Joseph Douillard, technicien des problèmes architecturaux. Nous les suivons, non sans une pointe d'inquiétude, lorsqu'ils rappellent la longue agonie du paganisme : « La résistance du paganisme est un fait (...), elle est inscrite dans l'histoire plus d'une fois. Rappelons-nous les interdictions insérées dans les actes des conciles et plus tard dans les capitulaires de Charlemagne et de Louis le Débonnaire contre les pratiques superstitieuses. Les habitants des villes n'étaient pas moins portés à l'idolâtrie que ceux des campagnes, c'est une inclination qu'on était incapable de réprimer les jours defête. A Autun, la déesse Bérécynthe jouissait de la faveur populaire à tel point que sa statue était promenée dans les rues avec des manifestations de joie extraordinaire en plein VIe siècle. A Thérouanne, le paganisme régnait en souverain au milieu du VIIe siècle comme nous l'indique la via du grand saint Omer. C'est lui qui eut le mérite de détruire le culte des idoles dans cette ville. A Rouen, selon la légende de saint Romain, Vénus avait un temple dans les faubourgs, et de» adorateurs s'y rendaient pour vénérer sa statue. « Nous serions le jouet d'une illusion si nous placions la Bretagne, y compris la Basse-Loire et Nantes, dans une situation plus avancée vers l'orthodoxie »….
Cliché édition Le Flohic