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Histoire de Notre-Dame de Nazareth de Plancoët par M. A. Lemasson avec introduction de M. A. du Bois de la Villefabel.

Histoire de Notre-Dame de Nazareth de Plancoët par M. A. Lemasson avec introduction de M. A. du Bois de la Villefabel.
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La gloire de Notre-Dame de Nazareth de Plancoët (voir Plancoët : Notre Dame de Nazareth en images) ne déborderait guère les frontières de nos cantons, si l'un de nos plus illustres écrivains de France, le père du romantisme et l'auteur du Génie du Christianisme, René de Chateaubriand (voir Sur les traces des parents de Chateaubriand au Pays de Dinan.), ne l'avait célébrée dans ses Mémoires : «  Ma nourrice, nous dit-il, me voua à la patronne du hameau de Plancoët, Notre-Dame de Nazareth, et lui promit que je porterais en son honneur le bleu et le blanc, jusqu'à l'âge de sept ans. Je touchais à ma septième année, ma mère me conduisit à Plancoët, afin d'être relevé du voeu qu'avait fait ma nourrice. Le jour de l'Ascension 1775, je partis de la maison de ma grand'-mère de Bédée avec ma mère et mes tantes, j'avais une lévite blanche, des souliers blancs, des gants, un chapeau blancs et une ceinture de soie bleue. Nous montâmes à l'abbaye, à 10 heures du matin. Le couvent des Dominicains, consacré à la Sainte Vierge, s'enorgueillissait d'un quinconce d'ormes du temps de Jean V... Déjà les religieux occupaient leurs stalles... La messe commença : à l'offertoire, le célébrant se tourna vers moi et lut des prières ; après quoi on m'ôta mes habits blancs qui furent attachés en ex-voto au-dessous d'une image de la Sainte Vierge. On me revêtit alors d'un habit couleur violette ; puis le prieur des moines prononça un discours sur l'efficacité des voeux. » (voir Quelques notes sur la famille de BédéeVoilà certes un illustre présentateur, et sous l'égide de cet écrivain fameux, nous pénétrons dans le sanctuaire de Notre-Dame de Nazareth avec un sentiment de pieuse curiosité. La scène racontée par Chateaubriand se reconstitue sous nos yeux, avec ce charme que nous inspirent les détails suggestifs de la biographie des grands hommes. Pourtant ce sanctuaire nous présente des titres plus solides de gloire, avec droits sacrés à notre vénération. Ne croyez pas qu'une piété spontanée ait seule dressé sur cette colline l'église que nous admirons aujourd'hui. Le ciel lui-même a voulu ce pèlerinage et fondé sa popularité sur des prodiges surnaturels d'une indiscutable authenticité. Rappelons brièvement les faits. La route qui allait de Matignon à Dinan passait à travers le Haut-Plancoët, descendait aux bords de l'Arguenon, remontait le Bas-Plancoët et la rue de l'Abbaye et prenait la direction de Corseul. Vers le haut de la côté, du côté du Nord, se trouvait en face du talus du champ des Rochettes, appartenant à M. de la Ville Rieux, de Dinan, la fontaine Ruellan, pavée, maçonnée, profonde de 1 m. 75, large de 1 m. 30. Une voûte de pierre protégeait le bassin des eaux et se terminait en avant par un fronton découronné. « Tout autour, dit le procès-verbal, il y a apparence qu'elle a été autrefois pavée tout autour, y en ayant encore une partie, quoiqu'il n'y ait aucun chemin pavé aux environs. » Pendant l'été de 1621, extrêmement chaud et sec, un nommé Champrond, construisant une maison dans la rue de l'Abbaye et manquant d'eau pour préparer le mortier envoya deux manoeuvres, Jean et Bertrand Harel, nettoyer la fontaine, déboucher les canaux et amener l'eau dans les caniveaux, pour qu'elle descendit le long de la route jusqu'à son chantier. Sous la' vase et les herbes aquatiques, les ouvriers trouvèrent une statue divisée en trois morceaux : sur l'un ils remarquèrent une tête de femme couronnée et une tête d'enfant, sur le second Le corps des deux personnages, sur le troisième un piédestal. Après avoir rapproché bout à bout ces débris, ils les dressèrent sur le fronton dégarni, à la place qu'ils occupaient au moyen âge. Bertrand Harel, jardinier, âgé de 33 ans au moment de la seconde enquête, nous a conservé ces détails. Jean, son frère, mourut avant la deuxième découverte de la statue : un journalier du Bois-Rolland, Jean Girard, déclara l'avoir vu au travail. Par une inspiration spontanée et simultanée, les chrétiens de la région accoururent à l'informe statue et la vénérèrent. Une femme Braud, du village de la Bardellaye, y amena son petit Jean, âgé de 10 ans, qui n'oublia point cette visite et qui, devenu prêtre, raconta son pèlerinage. Il vécut à la Bardellaye et visita souvent le nouveau sanctuaire. Trois semaines après, un « pauvre fol courant les rues », Gilles Portier, s'amusant en ce lieu, renversa les trois sculptures superposées dans le bassin, où elles disparurent sous les eaux. Depuis lors, des clartés apparurent de loin en loin, la nuit, autour de la fontaine, et des plaintes, sans cause apparente, émurent les passants. Elles empêchaient la terrible prescription de l'oubli. Vingt-trois années s'écoulèrent. Pendant cette période de temps, des gens qui passèrent devant la fontaine sans rien entendre, éprouvèrent une frayeur subite, sans pouvoir dominer leur émotion, ou en analyser la cause. Les phénomènes extraordinaires se multiplièrent pendant l'année 1644. La veuve d'Yvon Bertin, Olive Blandin, du village de la Massonnais, en Corseul, âgée de 66 ans, s'en allait au mois de mai avec son troupeau près de la fontaine Ruellan. A quatre reprises différentes, Vers dix heures du matin, elle entendit une voix plaintive. Instinctivement, elle promena le regard autour d'elle, mais elle n'aperçut personne. Alors, une pensée surgit dans son esprit, pensée de foi naïve dont nous retrouvons l'expression dans nos vieilles légendes bretonnes. Elle se dit à elle-même que sa fille, morte depuis peu, souffrait dans le purgatoire et réclamait des prières. Elle s'agenouilla sans hésitation au bord de là route et supplia le Seigneur de prendre en pitié l'âme de sa pauvre enfant. Ah ! que voilà bien le coeur d'une mère ! Comment ne pas admirer ce sens chrétien de sa douleur, malgré l'erreur qu'elle commettait en interprétant ainsi le sens de ces gémissements ? François Billy, marchand, demeurant au Haut-Plancoët, passant près de la fontaine Ruellan, le 26 juillet 1643, en la fête de Sainte-Anne, s'arrêta pour faire boire son cheval et lui enleva la bride, quand tout à coup il entendit une voix forte qui poussait une plainte. Un regard circulaire jeté autour de lui le convainquit qu'il se trouvait seul sur ce coin de route. Il s'écarta tout ému. L'année précédente, en novembre 1642, Nicolas Le Marchand, de Dinan, revenant d'une foire qui se tenait en la ville de Matignon, avait constaté un phénomène analogue. Comme il passait au point du jour près de la fontaine Ruellan, il débrida son cheval pour l'abreuver, mais il ne réussit pas à le. faire boire. En vain il lui pressa la tête pour l'incliner vers les eaux et lui plonger la bouche dans le bassin de pierre, l'animal s'y refusa et se mit à genoux. Agacé, le maître asséna un cinglant coup de fouet à son cheval. Peine inutile ! L'animal ne bougea point, mais une plainte émouvante monta cle la fontaine et jeta l'émoi avec la crainte dans le coeur de Nicolas Le Marchand.  Alors on se souvint qu'en 1631 Lorande Even, âgée de 45 ans, du village de la Pouplinais, en Corseul, avait entendu distinctement les mêmes gémissements. Elle habitait à la Villemorin et voulut se désaltérer à la fontaine. Tandis qu'elle buvait, elle entendit trois fois successivement une voix qui poussait une plainte Alors elle se redressa, jeta un rapide coup d'oeil autour d'elle et n'apercevant pas âme qui vive, se figura qu'il y avait dans ce bassin d'eau des bêtes qui y résidaient, et elle se promit à elle-même de ne plus se désaltérer jamais en ce lieu. Sa frayeur ne fit pas grand bruit, mais les gens s'en souvinrent, quand les autres faits se. produisirent dans la suite. En 1639 ou 1640, Catherine Hamon, domestique à la métairie du Fresche, qui appartenait au sieur cle l'Esvinaye, conduisait souvent les animaux de la ferme près de la fontaine Ruellan et s'y désaltéra elle-même plusieurs fois. A différentes reprises elle entendit les mêmes lamentations. Cinq ans plus tard, entrée au service cle Julien Boulanger, à Pluduno, elle vint au Bas-Plancoët raconter aux juges de l'enquête, officielle, dont nous allons parler tout à l'heure, ces soupirs qui l'avaient tant troublée. Tous ces faits prenaient encore des proportions plus impressionnantes dans les causeries des soirées d'automne et d'hiver. Les langues marchaient bon train. La jeunesse, plus audacieuse et plus sceptique, admit difficilement ces récits. Un quincaillier du Bas-Plancoët, nommé Lucas Faguet, avait trois fils, Alain, Jacques et Jean, âgés respectivement de 21, 19 et 17 ans, qui résolurent d'en avoir le coeur net et' de fouiller la fontaine, où la rumeur publique soupçonnait, par tradition, la présence d'une statue dans le bourbier du bassin. Le lendemain de la fête du saint Rosaire, le lundi 3 octobre 1644, Alain et Jacques commencèrent la besogne, mais, après avoir travaillé jusqu'à 2 ou 3 heures de l'après-midi, l'aîné se rebuta. Plus tenace, le cadet découvrit le premier morceau. Il rappela son frère qui s'éloignait et il lui passa le corps de la statue. Bientôt Jean les rejoignit et Jacques transmit à ses deux frères le morceau sur lequel se détachaient les têtes de la Vierge et de l'Enfant Jésus. En fouillant encore, Jacques remarqua au fond de la fontaine lé troisième morceau, c'est-à-dire le piédestal ou soubassement qui lui parut trop lourd à soulever et qu'il laissa dans le bassin. Ensemble, les trois frères lavèrent les deux pièces qu'ils avaient retirées de l'eau et les déposèrent sur le talus d'un champ appelé Surset-Jacques, contre un chêne appartenant au sieur de Luadren Le Roy. Dès le lendemain, au point du jour, des pèlerins accoururent par un mouvement de piété spontanée, prièrent devant l'humble statue et déposèrent des offrandes. Puis, s'inclinant avec respect, ils burent dévotement l'eau limpide de la fontaine nettoyée, où le sourire de Marie semblait se mirer. Détail touchant : Jacques Faguet vit une jeune fille se dépouiller d'un joli ruban qui flattait sa coquetterie et le déposer en offrande aux pieds de la Sainte Vierge. Le surlendemain, mercredi 5 octobre, Jacques et Jean Faguet retournèrent à la fontaine pour en tirer le soubassement de la statue. Deux passants, François Chenu, métayer de l'Hostel Rivet, en Corseul, et un marchand mercier, les aidèrent dans cette besogne et portèrent avec eux cette pierre plus lourde sur le bord de la route. Alors ils prirent sur le talus les deux premiers morceaux de la statue et les mirent en place sur le piédestal. Avec complaisance ils considérèrent cette reconstitution de l'antique couronnement de la fontaine. Ce même jour, Guillaume Huet, marchand de la rue de l'Abbaye, hydropique depuis six mois et condamné au lit depuis la Pentecôte par le médecin de Lossandière, de Dinan, fit un voeu à la Sainte Vierge et promit d'aller à la fontaine Ruellan visiter la statue que les frères Faguet y avaient trouvé : on ne parlait que de cette découverte dans le Bas-Plancoët, Jusque là les remèdes de Picot, apothicaire à Dinan, ne lui avaient produit aucun effet. Il ne se levait même plus depuis la un de septembre. Dès qu'il eut invoqué la statue miraculeuse, il éprouva un soulagement tel qu'il se leva aussitôt. Le lendemain, il se rendit à Dinan et comme il en revenait à pied, lui qui avait été astreint au repos le plus absolu par la faculté, il rencontra les trois frères auprès de leur miraculeuse trouvaille. Ensemble ils se résolurent à lui construire un oratoire rustique et ils coupèrent dans l'avenue plantée par le duc Jean V, dont parle Chateaubriand, des branches d'orme avec lesquelles ils édifièrent un abri. La rumeur publique propageait avec rapidité toutes ces nouvelles à travers la région, et la dévotion populaire croissait d'autant plus rapidement que des faits merveilleux se multipliaient autour de la statue récemment découverte. Un laboureur de la Villeneuve, en Saint-Pôtan, au diocèse de Saint-Brieuc, Jean Lhostellier, âgé de 38 ans, passait une heure environ après minuit dans la rue de l'Abbaye. Il montait la côte dans la direction de Dinan. Une vive clarté, comme serait celle d'un flambeau ardent, lui apparut. Au moment où il en approchait, c'est-à-dire en arrivant devant la chapelle de feuillage, la lueur disparut. Ce phénomène le frappa vivement. Cependant, il continua sa route, tout impressionné par cette vision. Le lendemain, au retour cle Dinan, il passa dans le même lieu et ne vit plus que des gens pieusement agenouillés devant la statue. Le recteur de Corseul, Messire Julien Gervèze, s'émut du concours grandissant des pèlerins. Sans reconnaître par son intervention des faits miraculeux qui n'avaient pas encore été étudiés canoniquement par l'autorité épiscopale, il encouragea Guillaume Huet à construire, avec le concours des gens de Plancoët, une chapelle provisoire en planches. Le travail s'exécuta en moins de quinze jours. Les offrandes cle toute nature affluaient et s'accumulaient au bord de la route. Guillaume Huet accepta les fonctions de trésorier et recueillit dans sa maison tous les dons de quelque valeur qui n'avaient point le caractère d'ex-voto. Puis, entraîné par sa reconnaissance envers Marie, il se construisit une petite cabane d'où il veillait sur la statue et le jour et la nuit. Chaque soir il éteignait les cierges, fermait la chapelle et s'endormait dans son ermitage bâti en face de sa chère statue.

Chaque matin il allait chercher du feu pour allumer de nouveau les cierges, avant l'aube. Les pèlerins accouraient de bonne heure et l'interrogeaient pour savoir s'il n'avait pas mis le feu à quelque brasier, car en approchant ils avaient aperçu de vives clartés, ou si d'autres visiteurs ne les avaient point précédés. Or, aucun tison, aucun cierge n'avait brillé près de la chapelle. Il communiquait son enthousiasme et sa reconnaissance à ses amis maistre Bertrand Davy, sieur de la Lande, Julien Guillou, tous ceux du Haut-Plancoët, au diocèse de Saint-Brieuc et à un vénérable vieillard de ses amis, Olivier Lecoq, âgé de 74 ans, qui habitait dans la rue de l'Abbaye. Tous déposèrent plus tard au procès et appuyèrent le témoignage cle Guillaume Huet. Le 18 octobre 1644, en la fête de Saint-Luc, évangéliste, une petite troupe quittait les hauteurs de Créhen, trois heures avant le jour. Elle comprenait un laboureur, Yvon Merdrignac, un cordonnier, Jean Girard, un fessier, Guillaume Bouexière et sa femme, Jeanne Besrée, du village de la Chesnelaye, et un certain Yves Gillebert qui les avait rejoints avec sa fille. Ils approchèrent de la chapelle deux heures avant l'aube, en pleine nuit par conséquent. O surprise ! ils aperçurent au milieu de la route une grande dame toute habillée de blanc. « Tiens, se dirent-ils à eux-mêmes, nous n'arrivons pas les premiers ». Quand ils arrivèrent, la grande dame avait disparu et la route était déserte. Dans sa cabane, Guillaume Huet dormait avec un compagnon. Tous les six s'agenouillèrent devant la sainte Image et après avoir longuement, prié, ils entrèrent dans une logette de l'autre côté de la route pour y déjeuner à l'abri de l'air du matin. Tandis qu'ils mangeaient, ils virent briller un long éclair et une clarté au-dessus de la sainte Image, sans entendre aucun bruit de tonnerre. L'homme qui leur vendait du cidre contempla le même spectacle, ainsi que plusieurs pèlerins qui approchaient. Plus tard, le,7 novembre 1644, une heure avant le jour, Ecuyer François de Bréhand, sieur de la Villehate, s'en allait de son logis en Corseul avec Jean Çaribel, son jeune domestique qui portait une lanterne allumée, au moulin du tertre de Brandefer, afin de parler au meunier. Les gens se levaient en ce temps là bien avant le jour et ne craignaient -pas les longues marches à pied, même pendant la nuit. Comme il approchait du sommet, il se retourna dans la direction de la chapelle et y vit comme un feu de joie. -Les pèlerins viennent de bien bonne heure prier devant la sainte Image, dit-il à son domestique. Quand il eut fait sa commission au meunier, ils se rendirent dans la direction du feu et ne trouvèrent que trois hommes couchés à l'intérieur de la cabane bâtie de l'autre côté de la route pour garder le sanctuaire. Us n'avaient aucune lumière et demandèrent même la permission d'allumer une bougie à la chandelle de la lanterne que portait Jean Caribel. Très intrigué, M. de Bréhand les interrogea pour savoir s'ils avaient vu des pèlerins ; mais ils n'en avaient aperçu aucun depuis la veille au soir. Tout ému, il s'agenouilla devant la sainte Image avec son valet et pria avec ferveur. Au lieu de rentrer chez eux, ils descendirent la côte de la rue de l'Abbaye pour conter aux gens ce qu'ils avaient vu et dont ils avaient besoin de parler pour soulager l'émotion de. leurs coeurs. L'affluence des pèlerins grandissait de jour en jour. Au début on en comptait jusqu'à deux ou trois cents dans la même journée. Bientôt l'évaluation en devint plus difficile au fur et à mesure que le nombre croissait. On en compta un jour jusqu'à deux mille. Le pays tout entier s'ébranlait. Messire Julien Gervéze, recteur de Corseul, rendit compte de tous ces événements à son évêque, Mgr. Achille du Harlay de Sancy qui gouvernait alors le diocèse de Sant-Malo, et lui demanda de lui tracer une ligne de conduite. Une affaire délicate ne se pouvait trancher en un moment. L'Evêque décida d'étudier à fond ces manifestations extraordinaires et s'y appliqua aussitôt. Avec quelle autorité ! nous le devinons aisément. Il appartenait, en effet, à cette lignée de vrais prêtres de Jésus-Christ qui fit la France catholique si grande au XVIe siècle. Son nom seul jette un reflet de grandeur sur la dévotion qu'il lui appartenait de sanctionner. Disciple du cardinal de Bérulle, il entra des premiers à l'Oratoire et participa à la ferveur de ses débuts. Il vénérait son supérieur au double point de vue de la science et de la vertu. Quel maître, en effet, que celui-là pour un futur pasteur de peuples, pour un prêtre destiné à la plénitude du sacerdoce ! Quel guide que ce prince de l'Eglise, dont le cardinal Duperron écrivait ce magnifique éloge : « S'il s'agit de convaincre les hérétiques, amenez-les moi ; s'il s'agit de les convertir, présentez-les à M. de Genève ; s'il s'agit de les convaincre et de les convertir tout ensemble, adressez-les à M. de Bérulle. » Quand Mgr Achille de Harlay de Sancy monta sur le siège de Saint-Malo en 1631, après avoir accompli une ambassade dans le Levant et gouverné plusieurs maisons de sa compagnie, le P. de Coudren venait de succéder au fondateur de l'Oratoire. Nourri à l'école de l'un et de l'autre clans la science et l'ascétisme des docteurs et des saints, il n'hésita pas un instant à enquêter sur les manifestations surnaturelles du Bas-Plancoët. Les timidités des chefs ne procèdent que des insuffisances de l'intelligence ou des défaillances de la volonté. Il constitua donc un tribunal et l'envoya sur les lieux pour examiner cette croix brisée en trois morceaux qui portait sur une face la Vierge Marie et l'Enfant Jésus, et sur l'autre, une descente de croix : pour interroger aussi les témoins des faits extraordinaires et des guérison qui avaient précédé, accompagné et suivi la découverte de celte statue. Messire Charles Duruau, son vicaire général, un oratorien comme lui ; fils du cardinal de Bérulle, présida ce Tribunal et mena canoniquement l'enquête. En revenant à Saint-Malo, il en communiqua les résultats à son Evêque : nous verrons tout à l'heure avec quelle précision. Il avait examiné la sainte Image, clans la cabane de planches qui avait remplacé le premier oratoire formé de branches d'ormes arrachées aux quinconces antiques dont parle Chateaubriand ; il avait constaté l'empressement des foules et compté les ex-votos cle leur reconnaissance ; il avait interrogé minutieusement de nombreux témoins. Mgr du Harlay de Sancy étudia ce dossier et reconnut le caractère surnaturel des faits. Par une ordonnance, il autorisa le culte rendu à la sainte Image et pourvut au service religieux des pèlerins par des Oratoriens. La chapelle de planche se trouva trop étroite ; les chapelains l'agrandirent ; mais l'accroissement du sanctuaire ne répondit pas à celui des foules. Il fallut concevoir de plus vastes projets et préparer la construction d'une vaste église. Ils en préparèrent les matériaux et en creusèrent les. premiers fondements, mais sans se garantir le consentement de Mme la comtesse de Châteauneuf, de qui relevait la baronnie de la Hunaudaye. Soit qu'elle comprit mal la dévotion naissante, soit qu'elle se fâchât des procédés des Oratoriens qui avaient dressé leurs plans sans la consulter, elle opposa à la nouvelle construction un refus invincible. Pour le bien de la paix et l'avenir du pèlerinage, les Oratoriens abandonnèrent le gardiennage du nouveau sanctuaire, emportant les regrets du peuple de la région. MM. de Saint-Lazare en reçurent la charge à leur tour ; mais, en vrais fils de Saint-Vincent de Paul, ils se laissèrent emporter par leur zèle apostolique à prêcher des missions dans les campagnes. L'impossibilité de garder dans ces conditions une parfaite résidence pour . le service des pèlerins, la crainte de se charger d'une : responsabilité trop lourde en construisant une église et un monastère, les déterminèrent à se décharger de cette fonction entre les mains de Mgr Ferdinand de Neufville qui succédait à Mgr de Harlay de Sancy. - Le R. P. d'Orgeville, vicaire général de Saint-Malo, négocia avec le R. P. Jean Nolano, Frère Prêcheur, Docteur de Louvain, et concéda, par commission cle son évêque et par lettre du 19 février 1647, la chapelle provisoire et le nouveau, pèlerinage, aux religieux Dominicains du couvent de Dinan. Mme la comtesse de Châteauneuf, baronne de la Hunaudaye, réconciliée avec la dévotion naissante, autorisa les Frères Prêcheurs à s'installer en ce lieu et à y construire un monastère. Bien mieux, elle leur prodigua ses libéralités, revendiqua le titre de fondatrice et assista en personne, accompagnée du comte cle Châteauneuf, son fils et de la marquise d'Asserac, sa fille, à l'installation canonique des moines par Messire Charles Duruau, official de Saint-Malo et son greffier.

Au nom de l'Ordre, le R. P. Nolano, les P. P. Augustin de Sainte-Catherine et Jean Godineau, et le Frère Jérôme de Sainte-Agnès, frère convers, tous profès, acceptèrent la nouvelle fondation pour le prieur de Dinan chargé de constituer le nouveau couvent et reçurent les clefs de la chapelle provisoire et du tabernacle. La Bretagne tout entière s'émut de ces événements. Mgr Denis de la Barde, l'illustre ami de saint Vincent de Paul, de M. Olier, du P. de Coudren et de toute l'élite religieuse du XVIIe siècle gouvernait alors le diocèse de Saint-Brieuc. Or, la rivière de l'Arguenon le séparait seule de ce hameau du Bas-Plancoët qui appartenait au diocèse de Saint-Malo. Des collines du Haut Plancoët, il apercevait les coteaux illustrés par la découverte faite dans la fontaine Ruellan. Comment n'aurait-il pas franchi cette rivière pour gravir la sainte colline et se mêler à la foule des pèlerins ? Il aimait d'une tendre dévotion la Vierge Marie. Son nom se trouve glorieusement mêlé à l'histoire de Notre-Dame de Toute-Aide, à Querrien, en La Prénessaye. Il ordonna une enquête sur les quinze apparitions de la Vierge à Jeanne Courtet, à Forée de la forêt de Loudéac, Comme Mgr du Harlay pour la découverte de la statue miraculeuse de la fontaine Ruellan. Un si dévot serviteur de Marie ne pouvait rester indifférent aux merveilles qui s'accomplissaient en vue de son diocèse. Une occasion funèbre lui permit cle manifester sa dévotion. La baronnie de la Hunaudave se trouvait clans le diocèse de Saint-Brieuc. Or, la comtesse de Châteauneuf, qui avait enrichi les Dominicains de huit journaux cle terre, en la fête de Saint-Dominique, pour leur permettre d'établir leur monastère ; qui, le 27 août, signait le contrat et choisissait la nouvelle église pour le lieu de sa sépulture, vint à mourir six semaines après cet acte et ce testament. La marquise cl'Asserac, sa fille, exécutant ses dernières volontés, transporta son corps en un cercueil de plomb, près de l'autel de la chapelle provisoire, et Mgr Denis de la Barde présida la cérémonie des funérailles. Plus d'une fois il revint en ce lieu, y célébra la sainte messe et enrichit d'indulgences les prières adressées à Notre-Dame de Nazareth. Dès le mois de juin 1650, Mgr René de Rieux, Evêque et comte de Léon, joignit son témoignage à celui de Mgr Achille du Harlay de Sancy qui avait autorisé la dévotion et le pèlerinage de Notre-Dame cle Nazareth, et à celui de Mgr Ferdinand de Neuville, son successeur, qui leur continua une égale protection. La Bretagne bretonnante accourait avec lui aux bords de l'Arguenon saluer la Vierge miraculeuse. Avant le Léon, Rennes apportait le témoignage de sa confiance avec Mgr Henri de la Motte Houdancour, son Evêque qui, le 7 août 1649, enrichissait de 40 jours d'indulgence les pèlerins qui, s'étant confessés et ayant communié, visiteraient la chapelle des Frères Prêcheurs. Tant de faits retentissants, tant de témoignages illustres méritaient de passer à la postérité. Le premier historien de Notre-Dame de Nazareth de Plancoët appartenait au couvent des Frères Prêcheurs de Notre-Dame de Bonne-Nouvelle à Rennes. Sa brochure a joui d'un succès que n'atténuèrent ni les siècles, ni les révolutions. Elle se lit encore dans toutes les familles du pays de la Rance et de l'Arguenon. Rééditée à deux reprises au xixe siècle et tirée à un grand nombre d'exemplaires, elle a entretenu la confiance des fidèles pendant sept à huit générations. Combien de livres, en dehors des oeuvres classiques des maîtres, jouissent aussi longtemps d'un pareil crédit ? Nul depuis le P. Guillouzou n'aurait pu raconter cette histoire autrement qu'en la répétant : ainsi procédèrent successivement les prédicateurs qui prêchèrent les pardons de Nazareth. La piété populaire ne réclamait rien de plus, car les faveurs obtenues en ce sanctuaire lui attiraient et lui amènent encore aujourd'hui des multitudes de pèlerins. Ils accourent pendant tout le cours de l'année, mais surtout aux fêtes de l'Assomption et de la Nativité, pour adresser à Notre-Dame de Nazareth leurs requêtes et leurs hommages, ou pour lui rendre leurs actions de grâces. La « patronne du hameau de Plancoët », comme disait Chateaubriand, règne sur toute la région. De tous les points de l'horizon lui arrivent des fidèles et la notoriété de sa puissance a provoqué la création d'une paroisse, tirée de l'ancienne paroisse de Corseul, par ordonnance de Louis XVIII, le 9 mai 1821, sous l'épiscopat de Mgr Mathias Le Groing de la Romagère. Le hameau du Bas-Plancoët, réuni à la commune de Plancoët en 1842, a pris allure de ville, et la coquette cité qui encadre les prairies de la vallée de l'Arguenon s'enorgueillit aujourd'hui de deux monuments qui consacrent la gloire du Saint Sauveur et de la très pure Vierge Marie. En même temps que la pierre de son église restaurée chantait un hymne nouveau en l'honneur de Notre-Dame de Nazareth, l'histoire se devait à elle-même de produire des titres authentiques à la reconnaissance du peuple. Il fallait retrouver les documents sur lesquels avait travaillé le P. Guillouzou. Avec quelle religieuse émotion, M. Lemasson, vicaire à Saint-Jacut-de-la-Mer, ancien vicaire de Nazareth de Plancoët, infatigable fureteur d'archives, patient érudit, mit la main sur ces pièces inédites, clans les Archives du. département d'Ille-et-VHaine ! Il palpait entre ses doigts le procès-verbal authentique de l'enquête canonique qui consacrait les origines de son sanctuaire aimé ! En quelles mains plus filiales pouvait-il tomber ? Pendant son séjour en la paroisse de Nazareth, il avait souvent célébré la sainte messe devant l'image miraculeuse, il avait proclamé sa puissance et chanté ses cantiques ; il avait vu l'affluence des pèlerins, héritage de deux siècles et demi de foi et. de confiance ! Et voici que maintenant il trouvait une occasion providentielle de lui dresser un trône nouveau ! Après le P. Guillouzou, il parlerait de Notre-Dame et grandirait par un document d'indiscutable valeur l'autorité de son premier historien. Il y a cle ces heures cle joie clans la vie des amateurs de vieux parchemins, heures qui consolent de la monotonie des interminables transcriptions et des lectures pénibles ! M. Lemasson a vécu l'un de ces instants bénis. Avant lui, le bon Père Guillouzou avait lu les mêmes pages, mais elles avaient été rédigées de son temps et pour ainsi dire sous ses yeux. Il n'eut pas à les découvrir. Cette histoire, bâtie sur cette base solide et indestructible, mérite toute notre attention. Elle se lit encore aisément, bien que le style ait un peu vieilli. Tout le fond du procès-verbal, aujourd'hui mis au jour, se retrouvé dans ces pages qui ont nourri la piété de plusieurs générations. Ainsi éclate au grand jour la scrupuleuse conscience avec laquelle le vieil historien a rédigé son ouvrage. La première édition parut en 1655. Nous en possédons une seconde éditée chez M. L. Prud'homme, en 1843, avec l'approbation de Mgr Le Mée. La troisième, qui se vendait en ces dernières années, avec l'autorisation de Mgr Fallières, avait été allégée, comme la seconde, de longues épitres en vers, et en prose adressées en forme de dédicace à Mme la marquise d'Assérac qui avait beaucoup contribué, par ses largesses, à la fondation du monastère des Frères Prêcheurs de Nazareth. Devons-nous regretter quelques expressions désuètes, quelques réflexions vieillies, quelques -longueurs ennuyeuses ? Non, car les nouveaux éditeurs ont poursuivi un but apostolique en rendant plus accessible au public une oeuvre aussi ancienne. Le titre adopté par le P. Guillouzou ne manquait pas d'originalité et garde un charme vieillot. Le voici en toute son ampleur : «  Nouveau jardin à fleurs de la Très Sainte Vierge, au terroir de Bretagne, dont la. dévotion florissante à la sainte chapelle de Nazareth, à Plancoët, dans l'évêché de Sainl-Malo, avec une épître dédicatoire à très haute et très puissante dame, Jeanne-Pélagie de Rieux, marquise d'Assérac, avec la relation des miracles opérés par l'intercession de Notre-Dame de Nazareth. » Dans ce» Jardin à fleurs », le. P. Guillouzou promène et travaille sans se presser. Il y introduit quelques plantes empruntées à l'Italie, à l'Espagne et à la France, convaincu qu'elles feront ressortir celles qui ont poussé et se sont épanouies sur ce terroir. Sa madone ne redoute lien des précieux titres des plus célèbres, car elle en possède de glorieux. N'a-t-elle pas affronté la critique minutieuse du tribunal ecclésiastique d'enquête constitué par Mgr de Harlay de Sancy ? Si le Père Guillouzou célèbre Notre-Dame de Lorette, Notre-Dame de Montserrat, ou Notre-Dame de Liesse, c'est pour louer avec plus d'autorité les madones honorées en terre bretonne et particulièrement celle dont ses Frères en religion gardent fidèlement la statue miraculeuse, Nôtre-Dame cle Nazareth. .«. Si notre Bretagne, écrit-il, n'est pas sous ce rapport la mieux partagée, au moins peut-elle se flatter de ne pas tenir le dernier rang, et de n'avoir pas la moindre part aux grâces de cette puissante reine de l'univers... Délivré d'un naufrage clans lequel il avait failli périr, le Bienheureux saint Dominique fut miraculeusement conduit en cette province par la reine des anges, et il y érigea, par son ordre exprès, le premier autel de cette sainte confrérie.

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Ce fut en l'an 1200, quinze ans avant qu'il fondât sa congrégation des Frères Prêcheurs. Ainsi l'atteste le Père J. F. de Réchac, religieux et historiographe de l'ordre, personnage aussi recommandable par sa piété que par ses lumières. Voilà des paroles qui révèlent bien chez le P. Guillouzou la préoccupation de rattacher son cher sanctuaire à une noble et patriotique tradition. Excusons donc ses flâneries dans le jardin à fleurs, où il place la dévotion florissante de la sainte chapelle cle Nazareth, à Plancoët. Il la veut mettre en riche compagnie. Avec quelle complaisance, dictée par la gratitude envers Jean IV le Conquérant, vainqueur du Bienheureux Charles de Blois, il loue sa générosité !: Avec quelles actions cle grâces, il nous narre ses largesses pour les sanctuaires de Notre Dame du Folgoat, près Lesneven, et Notre-Dame de Bonne-Nouvelle, à Rennes, deux citadelles construites par lui aux deux frontières opposées de son duché de Bretagne ! Notre-Dame de Nazareth ne perd rien pour attendre : le Père Guillouzou nous raconte longuement son histoire merveilleuse. Arrivé devant cette fleur, dans son jardin, il n'en détournera plus guère les yeux. Il l'admire, il en respire le parfum, il en loue le coloris, il en vante la grâce avec une onction qui nous gagne aisément. De temps en temps, il s'arrête dans une allée pour nous adresser une pieuse exhortation ; puis il reprend sa marche tranquille en homme qui, dans le silence de son cloître, ignore la trépidation nerveuse de notre siècle. Nous le surprenons en plein travail, puisque nous pouvons le contrôler avec l'aide du document découvert par M. Lemasson. Il attend nos critiques actuelles, en contemporain des érudits. fameux qui honorèrent la science historique du XVIIe siècle, les Bosquet, les du Chesne, les Claude,Robert, les Sirmond, les Joubert les du Paz. Son frère en religion, Albert Le Grand, avait appartenu au couvent de Notre-Dame de Bonne-Nouvelle avant de prendre la route de Saint-Dominique de Morlaix. Le P. Guillouzou y trouvait donc cle fortes traditions de science historique, en même temps qu'il puisait parmi ses contemporains et ses aînés, de hautes et précieuses leçons. Outre le document que M. Lemasson a mis au jour, c'est-à-dire le procès-verbal cle la découverte de la sainte Image de Notre-Dame de Nazareth et des miracles qui la suivirent, rédige en l'an 1644 par les soins de Charles Duruau, vicaire général, officiai cle Saint-Malo, il eut entre les mains le procès-verbal du sénéchal de Plancoët que nous ignorons. Le premier, après lecture attentive, nous paraît cependant avoir presque exclusivement servi au bon Père. Qu'était-ce donc que ce procès-verbal ? Le résultat de l'enquête officielle ordonnée par Mgr l'Evêque de Saint Malo au moment même où se produisaient, avec les premières guérisons, les premiers pèlerinages qui groupèrent les chrétiens par centaines, chaque jour, sur cette colline qui domine le Bas-Plancoët. Le saint Concile de Trente, écrit le Père Guillouzou, nous enseigne en sa session 24, que la connaissance cle ces choses appartient aux évêques, pour en décider comme arbitres et juges légitimes, chacun en leur diocèse. Lors donc qu'après les informations juridiques, l'évêque diocésain a reconnu quelque dévotion et Fa approuvée comme sainte et venant de Dieu, n'y aurait-il pas une témérité impie à vouloir le contredire et ne serait-ce pas s'élever contre l'autorité de l'Eglise ? Or, le Bas-Plancoët dépendait alors de Corseul. et, par suite, de l'évêché de Saint-Malo. Il appartenait donc à Mgr l'évêque de ce diocèse de faire une enquête canonique sur la découverte de la statue miraculeuse, et sur les guérisons qui suivirent cet événement, et par là, d'approuver ou de blâmer le concours du peuple en cet endroit. Le procès-verbal de cette enquête est, par suite, le plus précieux document pour servir à l'histoire de ce sanctuaire. Ouvrons-le et tout aussitôt nous voici en route pour le Bas-Plancoët avec noble et discret Messire Charles Duruau, conseiller du Roi, officiai cle Saint-Malo. Il ne s'agit point d'un voyage d'agrément, car nous sommes au 13 novembre 1644. Parmi ses compagnons je salue Messire J. Aubry, promoteur de la Cour ecclésiastique et Messire Guillaume Guyhommatz, greffier du même tribunal. Ils cueilleront sur la route et clans les environs les assesseurs de l'official. Arrivés au Bas-Plancoët, ils frappent à la porte de Maître Pierre Merdrignac, sieur du Boisroullé. Ne craignez rien, elle ne se fermera pas devant les voyageurs. Les récents événements désignent à l'avance cette maison hospitalière, où la Sainte Vierge a manifesté sa puissance par ses bienfaits. Leur hôte, en les accueillant, payait une dette de reconnaissance à Notre-Dame de Nazareth. Agé de 50 ans, il avait perdu l'ouïe à la suite de quatre accès de fièvre très violents, au mois de juillet de cette même année. Aucun remède n'avait pu atténuer sa surdité. Aussi, quand il apprit que, le 3 octobre, les fils de son voisin Faguet avaient découvert dans la fontaine Ruellan les débris d'une statue très antique, il se voua sans hésiter, avec une foi confiante, à Marie et s'engagea à la visiter sous l'humble abri de feuillage où elle, recevait les premiers hommages des voyageurs. Deux fois,il gravit la côte et honora la sainte Image, deux fois il sentit s'affaiblir son mal. A la troisième visite, il ne lui restait plus trace de son infirmité. Avant même de monter la.sainte colline, les enquêteurs trouvèrent donc, en leur résidence, un témoignage favorable à l'affaire qu'ils venaient étudier. En causant avec Pierre Merdrignac, sur le diapason ordinaire de la conversation, ils se firent parfaitement comprendre. Aussi le citèrent-ils des premiers à comparaître devant eux et à narrer, sous la foi .du serment, la faveur qu'il avait obtenue. La joie régnait maintenant en ce logis attristé depuis trois mois. Un ami de Pierre Merdrignac, noble homme Vincent Le Roy, sieur de la Villerieux, appréhendait de venir de Dinan en son pays d'origine, le Bas-Plancoët, pour ne pas le déconcerter en lui criant à l'oreille à trop haute voix et en lui montrant ainsi la profondeur de son mal. Avec quel bonheur il le retrouva parlant et entendant comme tout le monde et en témoigna, devant Messire Charles Duruau. Autour des juges, s'élevait à la gloire cle Marie un concert d'admiration et de reconnaissance : dans le logis même qu'ils occupaient, Maître Pierre Le Roux, sieur de la Grand'maison et Pierre de Carnuel, âgés l'un de 48, l'autre de 38 ans, constataient à l'envi que, depuis un mois, leur ami Pierre Merdrignac avait obtenu sa guérison. Aussi les juges enquêteurs montèrent-ils avec une sainte confiance la route de Dinan qui, du Bas-Plancoët. Les conduisait à la fontaine Ruellan.Messire Guyhommatz taille sa plume et note avec soin leurs faits et gestes. Dans son procès-verbal, il nous exposé les raisons de la constitution du tribunal et le motif de sa venue. « Le bruit est très grand, nous dit-il, des miracles qui se font chaque jour eh la paroisse de Corseul, près du Bas-Plancoët ; que l'on a trouvé dans une fontaine une image de pierre en forme de croix... que ladite fontaine, appelée fontaine Ruellan est un lieu de concours pour lés pèlerins clont une grande partie sont guéris. Sur quoi nous avons mandé aux recteurs des paroisses circonvoisines de ce diocèse et autres, qu'ils eussent adverty leurs paroissiens qui auraient reçu quelques secours en leurs maladies pour les voyages qu'ils y auraient fait, que nous nous trouverons au dit Bas Plancoët le 14, Ï5 et 16 du mois cle novembre et autres jours si besoin est. » Voilà un programme clair et parfaitement tracé. Le tribunal vérifiera lés circonstances et détails de la découverte de là statue et il dressera procès-verbal des premiers miracles. La plume de Messire Guillaume Guyhommatz ne chômera-pas. Elle nous vaudra un registre in-quarto de 80 feuillets reliés en parchemin, à en juger du moins par la copie authentique que M. Lemasson a transcrite et qu'il nous met entre les mains. Examinons-le bien à loisir. Ce n'est pas la minute même du notaire ecclésiastique : elle git peut-être dans quelque grenier ;. mais, pour n'être point l'original, ce document n'en jouit pas moins d'une indiscutable autorité. Nous connaissons exactement son histoire. La voici en quelques mots : Le P. Guillouzou avait obtenu de Mgr l'Evêque de Saint-Malo, qu'il déposât provisoirement dans les archives du couvent des Frères Prêcheurs de Notre-Dame de Bonne-Nouvelle, la minute authentique de l'enquête de Messire Charles Duruau ; il en confia la copie à un prêtre satiriste de Saint-Germain, logé dans les maisons presbytérales de cette paroisse, notaire apostolique de l'officialité de Rennes, qui s'appelait Alain Hervé. Le P. Guillouzou collationna lui-même la copie avec l'original et en vérifia l'exacte concordance. Bien mieux, il consigna avec soin la date exacte de la fin de ce travail de transcription, exécuté avec tant de précision. Il se termina le 11 septembre 1654. Au moment de la Révolution française, ce registre disparut des archives de Bonne-Nouvelle et finit par échouer dans les Archives du département d'ïlle-et Vilaine. Aujourd'hui il revoit le jour à la gloire de Notre-Dame de Nazareth. Convient-il que, marchant sur les traces du P. Guillouzou, nous analysions ce manuscrit et que nous en tirions une nouvelle histoire plus moderne d'allure et de style que la sienne ? Il ne semble pas que l'heure de cette publication ait sonné. Lisons d'abord attentivement ce procès-verbal ; allons à la suite du tribunal, cle découverte en découverte ; interrogeons avec lui les témoins : ainsi nous répondrons à la pensée de M. Lemasson qui nous initie par cette publication aux faits et aux raisons solidement établis, sur lesquels repose la confiance des pèlerins. Avec eux nous assisterons pieusement en pensée à la messe célébrée par Messire Charles Duruau, le 14 novembre 1644, dans l'église de Saint-Maur, de l'Abbaye de Plancoët ; avec eux nous monterons vers la petite chapelle en bois, construite à la hâte par les habitants du quartier où s'accumulent autour de la sainte Image, 64 cierges de cire blanche et jaune, qui flamboient 150 chapelets pendus aux parois, 2 croix d'or, 3 croix d'argent, des pendants d'oreille, des voeux de cire, représentant des bras et des jambes, des corps d'hommes, de femmes et d'enfants, des béquilles, deux tableaux de la Sainte Vierge, une statue en albâtre de Ste-Catherine, une clochette, voire même des objets plus vulgaires comme des pots de terre blanche, un plat d'étain, une glace, un chapeau gris, deux nappes de toile, 4 serviettes, des coiffes et des cols. Pourquoi souririons-nous de cette accumulation de dons et d'ex-votos ? Outre que l'historien y trouve des indications intéressantes, le pieux fidèle de Notre-Dame de Nazareth s'édifie de l'enthousiasme qui entraîna si rapidement les foules en ce lieu. La scène se reconstitue sous ses yeux. Voici la multitude des malades, des boiteux, des paralytiques, des aveugles, des cancéreux. Toutes les misères humaines s'étalent au bord de ce coin de la route de Plancoët à Dinan. Des miracles éclatent au milieu de ces murmures incessants de la prière spontanée des pèlerins. Alors les heureux bénéficiaires de la toute puissance d'intercession de Marie, jettent à ses pieds en offrande tous les objets qu'ils portent sur eux, dans un geste d'enthousiasme et cle générosité. Aujourd'hui la foule cède la place aux représentants de la sainte hiérarchie. Saluez avec elle le recteur de céans, Messire Julien Gervèze, car la fontaine Ruellan se trouve sur le territoire de CorseuL Voyez ce prêtre qui se tient à ses côtés : il appartient au diocèse voisin cle St-Brieuc, et se nomme Messire Jan Le Blanc, recteur du Haut-Plancoët. M. le Recteur de Corseul ne suffit pas à desservir son immense paroisse. ...Enfin, la chapelle resté libre ! Les enquêteurs dépouillent la sainte Image de ses ornements et l'étudient avec attention. Elle remonte à une haute antiquité et date certainement du Moyen-Age. Regardez-la . minutieusement, car toute brisée qu'elle soit, elle concentre l'attention des juges. Tout d'abord elle porte des sculptures sur les deux faces : d'un côté, la descente de Notre-Seigneur de la croix ; de l'autre, Notre-Dame tenant son fils entre ses bras. A côte de l'Enfant Jésus, les enquêteurs remarquent une figure gravée qu'ils n'arrivent pas à identifier. La descente de croix n'occupe qu'un tiers de la hauteur de la pierre, tandis que de l'autre coté la Vierge mère couvre toute la hauteur, entre les deux, la croix étend ses bras, et se couronne d'un fronton en triangle creusé à même dans le granit. A voir,ces sculptures mutilées, qui n'admirerait la bonté de Marie ? En souvenir de la prière des anciens, elle, attache, à ces débris, vénérés par les siècles passés. une miraculeuse, vertu. Ne sondons pas les mystères de sa tendresse et de sa miséricorde. Il nous suffit de savoir qu'il lui plaît d'attacher nos regards à cette antique image. . . Cette croix de pierre est cassée « tout joignant la face du petit Jésus et deux,doigts au-dessous du visaige de la dite Vierge et posée sur un soubassement aussy de pierre, où elle est enchâssée par un tenon qui porte quatre doigts en profondeur dans le çlict soubassement, ayant.de hauteur trois pieds ou environ et de grosseur un pied et demi. » Les juges la contemplent à loisir ; avec un peu d'imagination ils la retrouvent clans son intégrité telle qu'elle se dressait au Moyen-Age sur le fronton cle la fontaine Ruellan. Imitons-les et ne perdons point de temps ; fixons vite cette vision dans notre mémoire, car voici lés témoins qui approchent pour déposer, sous la foi du serment, ce qu'ils ont vu et ce qu'ils ont entendu. M. Lemasson nous présentera ces braves gens, l'un après l'autre, dans son procès-verbal authentique ; il n'oubliera ni leur nom, ni leur domicile, ni leur âge, et notre curiosité recevra ample satisfaction. Si donc vous avez hâte de les connaître, penchez-vous, à votre tour, par dessus l'épaule de Messire Guyhommatz, le notaire ecclésiastique cle l'officialité de Saint-Malo. Il ne vous. repoussera pas et vous verrez sa plume experte tracer le résumé des diverses dépositions. Peut-être même admirerez-vous les signatures des témoins. Ne vous laissez point rebuter par ce style de chancellerie ; il enveloppe, sous son enveloppe un peu rude, des faits dont l'ensemble conquerrera vote pleine  adhésion, Déclarerez-vous, après cela, votre curiosité satisfaite ? M. l'abbé Lemasson s'en tirerait à trop bon compte. Successivement, les Oratoriens, les Lazaristes et les Dominicains ont gardé la sainte Image et reçu les pèlerins. Les Frères Prêcheurs de Dinan y ont fondé un monastère florissant, celui-là même où la grand'mère de Bédée conduisait son petit-fils René de Chateaubriand pour le vouer à la Sainte Vierge. Voulez-vous connaître plus intimement ces moines que les Mémoires d'Outre Tombe ont sauvé de l'oubli ? Tournez jusqu'à la fin les pages du présent livre et vous y trouverez tout au long, racontée par M. Lemasson, son laborieux éditeur, l'histoire de la fondation du Couvent des Dominicains de Nazareth, accompagnée d'un grand nombre de pièces justificatives jusqu'ici inédites. Au moment de conclure cette trop longue étude préliminaire et de céder la plume à Messire Guillaume Guihommatz, nous éprouvons le regret d'en laisser tant à dire, après avoir déjà tant écrit. Une larme se mêle à l'hommage d'adieu que nous adressons à Notre-Dame de Nazareth les séparations coûtent toujours d'autant plus que l'union se prolongea davantage. Si notre récit s'arrête, notre dévotion ne chômera point, car après avoir approfondi cette merveilleuse histoire, nous en garderons une conviction profonde des prédilections de Marie pour cette colline des bords de l'Arguenon. Quand le voyageur passe à Plancoët, il admire le tertre Brandefer qui surplombe de 86 mètres presque à pic le niveau de la rivière, et qui domine comme un roi les horizons proches. Làhaut le regard s'étend des flots de la Manche aux sommets du Menez : mais en réalité, cherchez plus bas le coin le plus voisin du ciel, vous le. trouverez en cette église dont la tour, d'une médiocre architecture, vous apparaît à mi-côte. C'est là que Dieu communique ses bienfaits aux hommes et converse avec eux. Ah ! que nous comprenons bien ce Jean Nolano, le vieux Frère Prêcheur espagnol, qui n'oublia jamais Notre-Dame de Nazareth, après avoir procuré sa fondation en qualité de premier définiteur de l'ordre en Bretagne. Ni les Alpes, ni les Pyrénées n'avaient effrayé son ardeur apostolique. Il avait enseigné en Calabre. en Irlande, à Rome, dans une chaire de la Minerve, avec l'autorité d'un docteur de Louvain, avec la réputation d'un philosophe et d'un théologien de haute marque, La Bretagne l'avait connu à Rennes et admiré sa science et son intelligence supérieure ; elle l'attira malgré l'Espagne et l'Italie. Vaincu par l'âge, il ne demanda d'autre faveur au Général de l'ordre que de mourir parmi nous. Les frères de Nantes le reçurent avec tous les honneurs que méritait son renom. D'aucuns l'avaient accusé de jansénisme : il avait vengé son orthodoxie suspectée et recouvré, avec la liberté, la confiance d'Alexandre VII. Il avait gagné le droit au repos des derniers jours qui prépare au jugement de Dieu, en laissant du loisir pour les regards jetés en arrière. Nommé prieur de Nazareth, il accourut plein de joie aux pieds de Notre-Dame. Bientôt il y rendit son âme à Dieu, en la confiant à sa bonne Mère du ciel, le 29 mars 1662. Puissent ces pages, dictées par une filiale confiance, inspirer à quelques âmes l'ardente piété envers Marie du vieux moine espagnol, consacré breton par sa dévotion à la statue miraculeuse du Bas-Plancoët ! Partout l'amour de la petite patrie inspire la recherche des antiques traditions attachées à chaque coin de nos falaises, à chaque repli de nos vallées, à chaque pointe de nos collines. Tout paysage, tout monument évoque une figure, un geste ou une légende, et c'est après nous être penché au bord d'une fontaine que, dans une fruste sculpture de pierre, dressée aujourd'hui sur un autel de l'église paroissiale, nous avons salué le symbole, le signe sensible des miséricordes de Marie pour son peuple ci. ses pèlerins de Nazareth de Plancoët

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