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12 mars 2014 3 12 /03 /mars /2014 13:33
Les collines de Bécherel par André Meynier.

Le petit massif de collines de Bécherel n'est certes pas fort étendu : 4 kilomètres du nord au sud, une dizaine de l'est à  l'ouest. Culminant à 190 mètres, il ne dépasse que de 80 à 100 mètres le niveau général des plateaux environnants. Il n'en reste pas moins le seul accident de cette ampleur dans un rayon d'une quarantaine de kilomètres. A l'ouest, il faut aller jusqu'au Bel-Air à 48 kilomètres, à l'est jusqu'à la forêt de Fougères à 52 kilomètres pour trouver des altitudes analogues. Au sud, il n'y en a plus jusqu'à l'estuaire de la Loire. Dans toute cette région, il constitue le seul relief qui, se dressant au-dessus de la monotonie de la pénéplaine, soit visible et reconnaissable de fort loin. Fiers de leur position culminante, les habitants de Bécherel racontent même à leurs visiteurs que leur bourg est le plus élevé (175 mètres), et leur colline la plus haute du département d'Ille-et-Vilaine, ce qui constitue une double erreur. Mais s'il révise une notion, qu'une fort respectable fierté locale avait exagérée, le géographe ne s'en demande pas moins à quoi est due cette hauteur, unique en son genre dans la vaste dépression qui, de Saint-Malo à Saint-Nazaire, coupe en deux le massif armoricain. Des hauteurs analogues existent dans l'est et dans l'ouest de l'Armorique, où R. Musset et F. Dobet en ont étudié quelques-unes. Ces savants ont identifié deux séries de plateaux, se tenant à des altitudes à peu près constantes : les uns vers 300 mètres (plate-forme de Multonne, plate-forme d'Arrée), les autres vers 200 mètres (niveau de la forêt de Mayenne, niveau de Sainte-Marie du Menez Hom). Ils les ont attribués à l'action de deux anciens cycles d'érosion, et cette interprétation a été acceptée dans son ensemble, sous réserve de quelques détails. Le même type de relief étage a été décrit dans le Massif Central. Si, dans le centre de la France comme en Bretagne, on est d'accord pour dater la pénéplaine la plus basse, que dominent de telles collines, du début du tertiaire, l'on n'a pu jusqu'ici dans l'Ouest, émettre de supposition valable sur la date des plus anciennes plates-formes, alors que dans le Massif Central on peut, avec quelque vraisemblance, les attribuer l'une à la fin du primaire (plate-forme posthercynienne), l'autre au crétacé. Par analogie, nous pourrions donc penser que nos collines de Bécherel sont les derniers vestiges d'une surface d'érosion, qui, dans les restes du couloir Vilaine-Rance, aurait partout été mangée par le cycle d'érosion du début du tertiaire. Un abaissement saccadé du niveau de la mer aurait été responsable de la mise en marche de phases d'érosions successives. De fait, il est certain que la ligne culminante des collines, fort peu accidentée, lourds mamelonnements où les dénivellations ne dépassent pas 15 mètres et qui, de loin comme de près, paraissent pratiquement horizontaux, peut être rattachée à une surface d'érosion. Cependant, cette explication ne satisfait pas entièrement l'esprit. Pourquoi un tel vestige se serait-il conservé justement là ? La roche n'est pas plus dure qu'ailleurs : il s'agit de granités comme il y en a sur une longueur de 30 kilomètres, de Guitté à Guipel. Il n'y a pas de raison pour que l'érosion ait été moins vive ici qu'ailleurs; l'on n'est pas sur une ligne de partage des eaux : au nord comme au sud, les eaux se dirigent vers la Rance. A quelques kilomètres à l'est, le plateau Hédé-Saint-Gondran, dans les mêmes roches, sur la ligne de partage Rance- Ille, est beaucoup moins attaqué par les cours d'eau, et cependant, il ne dépasse pas 123 mètres. D'autre part, l'observation même fait apparaître des difficultés (fig. 2). Sur ses retombées septentrionale et occidentale, la surface culminante est bordée de larges replats, les uns vers 130-140 mètres, un autre vers 155 mètres. Ce n'est donc pas une, mais trois plates-formes d'érosion, traces par conséquent de trois anciens cycles d'érosion (180-90, 155, 140-130 mètres), qu'il faudrait invoquer comme antérieurs à la grande pénéplaine qu'elles surmontent. Mais sur les bords est et sud au contraire, nous constatons une descente lente et progressive sans replats ni abrupts aussi marqués. Tout au plus au sud, peut-on distinguer deux accélérations de pente d'une vingtaine de mètres de dénivellation, mais le replat qu'ils isoleraient descend lui-même assez régulièrement de 165 à 140 mètres (fig. 2 et 3). Vues à, une certaine distance, les collines de Bécherel se présentent comme un bloc dissymétrique, dominant brusquement la pénéplaine au nord et à l'ouest, se raccordant insensiblement avec elle à l'est et au sud. Il est remarquable que le seul endroit d'où elles ne soient pas visibles est le plateau 100-120 mètres qui les borde à quelques kilomètres au sud : car ce plateau s'élève en pente douce vers leur sommet. Le géographe familiarisé avec les massifs anciens songe aussitôt à une explication autre que l'explication cyclique : il lui paraît qu'un tel massif n'est qu'une déformation du type bloc basculé : les côtés abrupts seraient des escarpements de failles; les pentes douces, la surface simplement inclinée; les replats, des blocs entre failles (fig. 3). Les arguments ne manquent pas qui étayent une telle hypothèse. Nous avons montré ailleurs que l'escarpement Bécherel-Hédé présente tous les caractères morphologiques d'une faille assez récente. L'ensemble du bassin de Rennes n'est en somme que la retombée lente du nord au sud d'un bloc basculé : les collines de Bécherel représenteraient justement le point le plus élevé de ce bloc. L'hypothèse tectonique satisfait aussi davantage l'esprit parce qu'elle est plus simple; l'hypothèse cyclique nécessite la multiplication des cycles érosifs et l'élaboration d'un processus sans autre exemple dans une vaste région. Au contraire, l'hypothèse tectonique ne nécessite que l'application particulière d'un processus courant, puisque failles et blocs basculés sont nombreux dans la région. La seule originalité, capitale il est vrai, serait que la tectonique de Bécherel se traduit par un bloc en relief au-dessus du niveau moyen de la pénéplaine, tandis que les autres accidents ont créé des dépressions au-dessous de ce niveau moyen (bassin de Rennes, bassin du Linon, alvéoles du Gouesnon supérieur, etc.). Il est enfin un argument géologique, non dénué de valeur : dans une tête de vallée vieille, vers 140 mètres, près du point culminant du massif, et à cinquante mètres en contrebas, gît un dépôt de faluns. Non loin de là, au nord, vers le Quiou, ces mêmes faluns se trouvent vers 20 mètres d'altitude, dans des vallées d'une cinquantaine de mètres de profondeur. La ressemblance topographique des deux gisements est évidente et fait penser à un dépôt effectué à une altitude uniforme, puis dénivelé par les mouvements du sol. Pour toutes ces raisons, en attendant la preuve décisive qui nous paraît difficile à apporter, nous considérons l'hypothèse tectonique comme cadrant mieux que l'hypothèse cyclique avec les faits observés ou le raisonnement. Pour terminer, nous formulerons un vœu. A cent mètres de la route Miniac-Saint-Pera (GC. 20 bis), la butte qui porte le point culminant des collines (190 mètres) offre un aspect lamentable : trouée en tous sens de carrières désordonnées, elle est recouverte d'immenses fougères qui empêchent la circulation et coupent la vue. Il ne serait sans doute pas très coûteux d'aménager un petit rond-point dégagé d'herbes et d'arbustes et de tracer, depuis la route, un sentier d'accès. Cela ne suffirait pas à attirer la foule lointaine des touristes, mais cela créerait au moins un but de promenade pour les habitants d'une région riche de verdure, de ruisseaux et d'ombrages, où manquent cependant en général les vues largement dégagées. L'on a assez multiplié les Commissions de Tourisme ou de Sites pour qu'une telle initiative puisse être prise facilement.

Les collines de Bécherel par André Meynier.
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