Entre Saint--Brieuc et Guingamp, non loin du petit bourg de Saint-Péver, le Trieux s'ouvre un passage entre une double rangée de coteaux abrupts. Ce pays, montueux et boisé, qui semble désert tant les habitations y sont rares, contraste par sa sauvagerie avec les campagnes généralement découvertes et peuplées des Côtes-du-Nord. Sur la rive gauche du fleuve, une forêt de pins et de chênes descend jusqu'à la route de Guingamp qui la borde ; de ce point in distingue au-dessus d'un bouquet d'arbres le campanile d'une chapelle et les toits d'un groupe de chaumières. C'est là tout ce qui reste d'Avaugour, qui donna son nom à l'une des plus importantes et des plus anciennes baronnies du duché de Bretagne. Mais suivons le sentier rocailleux qui conduit à la chapelle et serpente entre les maisons pour descendre jusqu'au fond de la vallée. L'édifice, qui présente au sentier son chevet de granit flanqué de contre forts et percé d'une large baie qu'encadrent de délicates colonnettes, accuse par son style toute l'élégance du XVe siècle. Il a la forme d'un quadrilatère allongé, orienté de l'ouest à l'est, et muni comme la plupart des chapelles bretonnes, d'un seul transept du côté sud. Au pignon de ce transept s'ouvre une haute fenêtre armoriée qui l'éclaire, et dans l'angle une porte basse qui y donne accès. Du même côté, et immédiatement après la saillie du transept, on voit une autre forme de style gothique plus importante que la première et d'une ornementation beaucoup plus riche. Elle était jadis abritée sous un porche détruit mais dont les voussures mutilées sont encore visibles. Chose étrange, l'huisserie de cette porte, exposée depuis un siècle peut-être à toutes les intempéries du climat breton, existe encore presque intacte avec ses épaisses moulures, ses sculptures variées et tous les détails de son ornementation. Au-dessous d'une tête d'ange assez grossière d'exécution, qui fait saillie au centre de la porte, on lit cette inscription gravée en creux :
Roland • le • mkndren -|-1570.
Dans le haut du vantail, on remarque une paysanne jouant du biniou, et dans le bas un homme nu flanqué de deux archers, costumés à la mode du XVIe siècle, qui le percent de leurs flèches. C'est là, à n'en pas douter, la représentation du martyre de saint Sébastien. Le portail qui s'ouvre au-dessous du campanile est surmonté d'un écu en bannière dont les sculptures rongées et couvertes de lichen se confondent avec la teinte grise du pignon de granit ; néanmoins, après un long examen, nons avons reconnu qu'il était parti : au 1er de 9 mâcles, au 2e d'un écartelé portant aux 1 et 4 des besants ou tourteaux , aux 2 et 3 deux fasces , et sur le tout un écusson indéchiffrable. Nous nous réservons d étudier plus tard ces armoiries ainsi que celles de l'intérieur de la chapelle dans laquelle nous allons entrer. On y pénètre par la porte basse du transept, où se trouve une table d'autel en granit, d'un aspect assez massif, et qui n'a pour tout ornement qu'une cannelure très saillante. Toutefois aux deux extrémités sont sculptés en relief deux écussons; celui de dextre porte six annelets rangés 3, 2, 1, et en cœur un croissant ; celui de senestre est parti : au 1er d'un palé, au 2e des armes précédentes. La verrière qui éclaire le transept renferme trois écus en alliance; en supériorité, celui qui figure à senestre sur la table d'autel, palé d'argent et d'azur, parti de gueules à 4-annelets d'argent brisé d'un croissant d'or en cœur. Au second rang, et sur la même ligne, à dextre : parti, au 1er d'or à la fasce de gueules, au 2e de gueules à 5 annelets d'argent ; à senestre : parti, au 1er d'argent, à la barre de gueules , accompagné de pièces indéchiffrables par l'usure ; suivant M. Anatole de Barthélémy, le champ de cet écu serait un vairé d'argent et de gueules, à la barre du second émail. Le 2e parti est de gueules à 4-annelets d'argent .Au-dessus de la table d'autel est placée la statue de la vierge désignée sous le vocable de Notre-Dame d'Avaugour, qui est celui de la chapelle. De chaque côté de cette statuette sont les images de deux saints. Ces trois figurines sculptées en bois, conservent encore leur ancienne peinture et semblent dater du XVIe siècle. Cette chapelle latérale, connue encore aujourd'hui sous le nom de Chapelle. chœur par une baie à deux arcades gothiques divisée par un pilier central. Jadis le chœur était séparé de la nef par un jubé en bois sculpté, détruit, paraît-il, en 1825, par un recteur de Saint-Péver qui s'en servit comme de claire voie pour fermer la cour du presbytère. Nous n'avons pas lieu de nous étonner d'un pareil vandalisme, dont nous voyons tant d'exemples à notre époque. Il subsiste encore des fragments de ce jubé, remisés dans un angle du transept. Ce sont deux montants où figurent des personnages du XVIe siècle, et l'une de ces colonnes se termine par un couronnement formé de mâcles, qui rappellent les armes que nous avons relevées sur le pignon ouest. A droite du maître-autel, aujourd'hui privé de son dais en bois sculpté datant du XVIe siècle, on voit une statue de la Vierge entourée d'ex-voto, placée au-dessus d'une riche crédence de pierre. Du côté de l'Évangile, dans un angle, une curieuse armoire, couverte de sculptures fort naïves, sert de support à un groupe tellement encombré de guirlandes de fleurs artificielles, de bannières en calicot multicolores, et de toute cette décoration baroque qui en est. faite dans le Répertoire archéologique des Côtes-du-Nord : « Le Père Éternel, en costume de Pape, tient sur ses genoux son fils crucifié; le Saint-Esprit, sous forme de colombe, repose sur sa barbe. Sur le socle qui porte le groupe, on lit : Sancta Trinitas, unus Deus, miserere nobis. Au-dessous : Olive Lucas et Anne Jegai sa famé a fait peindre la Trinité 1662. Au centre de ce socle, se trouve une niche contenant un siège ou fauteuil placé entre quatre panneaux à cariatides et enroulements de la Renaissance. Sur le baldaquin, on lit : P. Morvan me fit faire 1576. Sur un médaillon : p. f. rolland le neindre. (nom que nous avons relevé sur la porte du porche), et sur la porte : P. morvan et François de-Dellec ..... Le reste de l'inscription est illisible. » Devant le siège est placée une table d' offrandes qui, par sa forme et sa décoration, nous semble remonter à la même époque. Une petite fenêtre latérale, ouverte du côté sud de l'édifice, conserve encore au sommet de sa verrière les armes ducales, et les murs blanchis à la chaux sont décorés de nombreuses statues de saints en bois peint. Il nous a été impossible de trouver les petits bas-reliefs en marbre peints et sculptés avec beaucoup de finesse dont parle M. de Barthélémy, dans son Rapport à M. de Caumont. C'est ainsi qu'il les décrit : « Les sculptures représentent la Glorification de la Vierge, l'Adoration des Mages, Dieu le Père tenant son fils sur la croix ; le sang qui coule des plaies de Jésus-Christ est reçu par des anges dans des coupes; la Sainte-Vierge dans une gloire, ayant à ses pieds un religieux qui tient un scapulaire. Nous avons surtout remarqué une Salutation angélique. La Sainte-Vierge est à genoux devant un prie-Dieu ; à sa droite, un vase d'où sort une tige de lys, et un ange portant un diadème surmonté d'une croix. En haut, on voit le Saint-Esprit sortir de la bouche de Dieu le Père sous la forme d'un souffle, si l'on peut s'exprimer ainsi. Figurez-vous un nuage se terminant par une tête de colombe. Sur ce souffle. Jésus enfant, une croix sur le dos, suit l'im¬ pulsion donnée et se dirige vers l'oreille de la Vierge. » Nous n'avons plus à signaler dans cette chapelle qu'un bénitier en pierre de forme hexagonale, orné sur chacun de ses pans d'une arcade gothique. Dans le collatéral nord, on remarque une porte basse qui de¬ vait être particulière au chapelain, car elle fait face à sa maison restée presque intacte. Cette construction, couverte en chaume, est percée de deux fenêtres à meneaux de pierre ; au-dessus de la porte, on lit le millésime 1610. Si l'on descend une prairie que domine la chapelle, on arrive, après avoir traversé l'aire d'une petite ferme, sur le plateau d'un monticule, sorte de promontoire qui s'élève à pic au-dessus de la vallée du Trieux.
Les seigneurs d'Avaugour
Suivant les traditions recueillies par les moines de Beauport (voir Abbaye de Beauport), l'antique maison de Goëllo serait issue d'Au-dren, fondateur de Châtelaudren (en breton C'hastel-Audren, dont il fit la ville principale de son comté.La descendance d'Audren s'éteignit dans la personne d'une fille, qui épousa un seigneur d'Avaugour, juveigneur des comtes de Goëllo, issus de la branche cadette des comtes de Rennes, dite maison de Penthièvre.
Eudon, tige de la maison de Penthièvre (voir le premier comté de Penthièvre, page n° 1)
et frère d'Alain III, duc de Bretagne, mourut en 1079, laissant cinq fils :
1° Geoffroi ;
2° Brient ;
3° Alain le Roux ;
4° Alain le Noir ;
5° Etienne.
Geoffroi Ier, dit Botherel, eut le Penthièvre, et mourut en 1093.
Brient suivit Guillaume le Conquérant en Angleterre et eut le comté de Richemont.
Alain le Roux et Alain le Noir possédèrent l'un après l'autre le comté de Richemont, que Brient, mort sans enfanls, leur avait laissé.Étienne eut le Trécorrois et épousa l'héritière du fief de Guingamp, qu'il réunit à son domaine, ainsi que le patrimoine de ses quatre frères, tous morts avant lui. Il mourut en 1137, laissant trois fils :
1° Geoffroi II ;
2° Alain le Noir ;
3° Henri.
Geoffroi II hérita du Penthièvre, qu'il transmit en mourant, en 1148, à son fils Rivallon, qui lui-même le laissa à ses deux fils, Étienne II et Geoffroi III , mort en 1206. Ils n'eurent pas de postérité.
Alain le Noir , second fils d'Etienne, eut le comté de Richemont et épousa Berthe, fille et héritière du duc de Bretagne Conan II. Cet Alain mourut en 1146, laissant un fils qui fut duc de Bretagne sous le nom de Conan IV.
Henri, troisième fils d'Etienne, eut le Trécorrois, le Goëllo, Guingamp, Lannion et le Minibriac. Vers 1160, le duc Conan IV, neveu d'Henri, l'attaqua et lui enleva tous ses domaines à l'exception du Goëllo. Conan IV mourut en 1171. Henri reprit alors son patrimoine qu'il transmit à son fils aîné Alain. Il avait épousé, en 1151, Mahaut, fille de Jean Ier, comte de Vendôme, et mourut en 1185, laissant cinq fils :
1° Alain ;
2° Gélin. auteur de la branche des seigneurs de Coëtmen ;
3° Étienne ;
4° Conan, auteur de la branche des seigneurs de Pordic ;
5° Henri, mort jeune.
Alain, fils aîné d'Henri Ier, fut à son tour dépouillé vers 1180, et réduit au Goëllo, par Geoffroi II, duc de Bretagne, qui avait épousé Constance, fille du duc Conan IV. Cette princesse mourut en 1201, laissant une fille unique, Alix, héritière du duché. Alix eut pour tuteur Gui de Thouars, troisième mari de sa mère, la duchesse Constance. Pendant cette tutelle, Alain reprit le Trécorrois, auquel il réunit, en 1206, le Penthièvre qui lui avait été légué par son neveu Geoffroi III, mort sans enfants. Devenu le plus puissant baron de Bretagne, Alain qui, jusqu'à cette époque, s'intitulait simplement dans les actes « fils du comte Henri, seigneur de Goëllo », prit alors le titre de comte des Bretons que portait son père. Les chartes de l'abbaye de Beauport, qu'il fonda en 1202, nous apprennent qu'Alain eut trois femmes : la première nommée Mahaut, la seconde Pétronille, qui est qualifiée dans les actes du titre de fondatrice, et mourut l'année même de la fondation de Beauport; la troisième Alix, qui lui donna trois fils :
1° Henri, dont nous parlerons bientôt ;
2° Geoffroi, auteur de la branche des seigneurs de Quintin ;
3° Alain .
Comme seigneur de Penthièvre, Alain devenait le vassal direct du roi de France, dont il soutint la cause contre Gui de Thouars, tuteur de l'héritière du duché de Bretagne. Pour le récompenser de ses services, Philippe-Auguste consentit aux fiançailles d'Henri, fils aîné d'Alain, avec la jeune duchesse Alix. En agissant de la sorte, le roi de France avait moins pour but de venger le meurtre d'Arthur, frère d'Alix, assassiné par Jean sans Terre, que de transformer le comte des Bretons en un des grands feudataires de la couronne, pour le mieux tenir sous sa domination. Mais Alain mourut à Châtelaudren, le 29 décembre 1212, et cet événement fit revenir le roi de France sur les engagements qu'il avait pris. Henri, fils aîné d'Alain, n'avait que sept ans à la mort de son père. On lui donna pour tuteur, d'abord le sire de Léon, puis un chanoine de Tréguier, Guy le Borgne, frère de Guillaume, sénéchal de Goëllo, et son oncle paternel Gélin de Coëtmen. qui, ni l'un ni l'autre, n'étaient du choix du roi de France. Craignant que sous une longue tutelle, exercée par des gens qui n'étaient pas ses créatures, ses projets ne pussent se réaliser, Philippe-Auguste rom¬ pit les fiançailles du jeune Henri avec Alix, et maria l'héritière du duché à un arrière-petit-fils de Louis le Gros, Pierre de Dreux, dit Mauclerc, l'un des plus fins politiques de son siècle. Dès son avènement, le nouveau duc enleva à Henri une partie de son patrimoine. En 1213, il possédait le Penthièvre, car il confirmait, à cette date, les possessions que le prieuré de Saint-Martin avait à Lamballe, et, en 1217, il donnait aux chevaliers de Saint-Jean de Jérusalem des terres dans les seigneuries de Jugon et de Moncontour. Ainsi dépouillé de la plus grande partie de ses do¬ maines, et ne conservant en Bretagne que le Goëllo, Henri prit alors le titre modeste de seigneur d'Avaugour, château qu'il tenait de son père. Le sceau d'Alain apposé à la charte de fondation de Beauport, en 1202, en est la preuve. Suivant un «vidimus » du 2 avril 1470 de la cour de Goëllo, cette charte était « scellée d'un grand sceau en cire verte, contenant en son emprainture , comme appareissoit, un home d'armes à cheval, espée au poign o ung escu figuré comme sembloit d'un arbre ou branche à trois pommes rondes », armes parlantes, faisant allusion au nom d'Avaugour, avalgor, en breton pomme sauvage. C'est là le premier emblème héraldique de la maison de Penthièvre, à une époque où l'usage du blason ne faisait que commencer, et il n'existe aucun titre qui aide à connaître l'origine du fief d'Avaugour. Peut-être la première femme d'Alain, Mahaut, dont la famille est inconnue, le lui apporta-t-elle en dot. Mais Henri, fils d'Alix, troisième femme d'Alain, en prenant le nom d'Avaugour, n'en garda pas les armes. Sans doute adopta-t-il, suivant un usage très fréquent à cette époque, les armes de sa mère. Il porta, comme tous ses descendants : d'argent au chef de gueules , que les sires de Quintin, issus de Geoffroi, son frère puiné, brisèrent, en signe de juveigneurie, d'un lambel d'or. Nous donnons ici le plus ancien type de l'écu des seigneurs d'Avaugour, provenant de l'abbaye de Beauport, où Alain et plusieurs membres de sa maison furent ensevelis. A partir de 1222, Gélin de Coëtmen cesse de figurer dans les actes comme custos et aminculus Henrici de Avalgor; c'est la preuve incontestable qu'Henri avait atteint sa majorité à cette époque. Il tenta alors de résister au duc Pierre de Dreux qui lui contestait, ainsi qu'au vicomte de Léon, les droits souverains qu'ils exerçaient héréditairement, et se mit à la tête de la noblessebretonne; mais il fut complètement défait, le 3 mars 1222, à la bataille de Châteaubriant. Henri figure, en 1225, parmi les seigneurs convoqués par le duc pour confirmer les privilèges et franchises de la ville de Saint-Aubin-du-Cormier, et jusqu'en 4230 il résida en Goëllo, comme l'attestent ses chartes de donations aux abbayes de Bonrepos et de Beauport. Il avait épousé, en 1228, Marguerite, fille de Juhel de Mayenne et de Gervoise de Dinan. Par cette alliance, il réunit à ses domaines héréditaires du Goëllo et de Laigle, les seigneuries de Mayenne et de Dinan-Bécherel, ainsi que des terres en Normandie données par le roi de France à son beau-père Juhel. Mais, de son côté, Pierre Mau-clerc, qui cherchait l'appui des Anglais, faisait au roi Henri III hommage du duché de Bretagne, et recevait en récompense le comté de Richemont, ancien fief des ancêtres d'Henri. Celui-ci protesta contre cet acte déloyal en se rendant auprès du roi saint Louis, à Vincennes, accompagné des seigneurs bretons fidèles à la France, et lui fit hommage de ses fiefs. Un fait qui semblerait prouver le peu d'importance d'Avaugour, c'est qu'Henri réclama du Roi une place de sûreté pour mettre sa femme et ses enfants à l'abri de son impla¬ cable ennemi Pierre Mauclerc. Saint Louis lui confia la garde du château de Guarplic ou du Guesclin, qu'avaient eue auparavant son beau-père Juhel et son beau-frère le sire de Dreux-Mello, avec promesse de lui rendre son patrimoine s'il venait à tomber en son pouvoir. En revanche, Henri s'engageait à servir sous la bannière royale avec vingt-cinq chevaliers. Le duc de Bretagne découragé, et voyant qu'il ne pourrait continuer la lutte contre le roi de France, lui fît sa soumission en 1231. Par représailles, Henri III d'Angleterre s'empressa d'enlever au duc le comté de Richemont. Grâce à la loyauté et à l'appui du roi saint Louis, Henri d'Avaugour, qui avait recouvré en 1232 une partie de ses anciens domaines, revint en Goëllo. On le voit figurer, en 1239, avec André de Vitré, Raoul de Fougères, Dreux de Mello son beau-frère, Geoffroi de Poencé et le seigneur de Châteaubriant, comme piège, auprès du Roi, du serment de fidélité fait à ce dernier par le duc de Bretagne Jean Ier. Suivant le P. du Paz, Henri d'Avaugour aurait accompagné saint Louis à sa première croisade, de 1249 à 1255, et, d'après Dom Morice, un récit conservé par les Cordeliers de Dinan récitait ses exploits en Terre-Sainte. Il y était dit que le seigneur de Goëllo, qualifié du titre de connétable , aurait fait le vœu, au milieu des combats, de fonder à Dinan un couvent de Cordeliers, vœu qu'il aurait accompli à son retour. Les nombreuses chartes qui constatent la présence d'Henri en France laissent des lacunes entre 1247 et 1250, ainsi qu'entre 1257 et 1261. Cependant un acte de 1257, par lequel Henri engage à l'abbaye de Beau-port les dîmes de Plouha moyennant 300 livres, ferait supposer, en raison de l'importance de la somme, que son voyage d'Outre-Mer fut effectué à cette époque. De retour, il consacra son temps à l'administration de ses domaines et à la tutelle de son petit-fils Henri, dont les biens patrimoniaux avaient été dilapidés par son père Alain. Affilié à l'ordre des Cordeliers, sans toute¬ fois abandonner sa qualité de chevalier, il prenait dans les chartes, dès 1268, le titre de : frater Henricus d'Avaugor, miles. Le sceau d'Henri, à cette époque, est ovale, et le représente agenouillé devant saint Bonaventure qui lui remet un livre, avec cette légende en exergue : Sig. Fratris Henrici II Avaugor. Ses vœux monastiques lui avaient fait renoncer à son ancienne et mystérieuse devise : Sub scuto meo est secretum meurn.Henri d'Avaugour mourut, suivant l'obituaire des Cordeliers de Dinan, le 6 octobre 1281, et le nécrologe de Beauport le mentionne en ces termes : Commemoratio Fratris Henrici d'Avalgor, de ordine minorum, quondam militis, fundatoris nostri. Son corps fut enseveli dans le couvent qu'il avait fondé à Dinan, sous un tombeau placé dans le chœur,du côté de l'Évangile. Il laissa de Marguerite de Mayenne cinq enfants :
1° Alain, qui mourut avant son père. Il avait épousé Clémence de Dinan dont il eut Henri qui, en 1265, était sous la tutelle de son grand -père. En réclamant ses biens aliénés par Alain encore vivant, il le qualifiait de fatuus et dilapidator bonorum, suorum. Il laissa aussi une fille, Havoise, mariée à Guillaume de Tinténiac.
2° Henri, qui épousa Philippine de Léon.
3° Geoffroi, qui réclamait, en 1282, à son neveu Henri, fils d'Alain, la seigneurie de Laigle, ainsi qu'une maison sise à Paris et qui avait appartenu au comte de Maçon. Sa femme, qui se nommait Meance, mourut le 4 des calendes de juin 1303, suivant l'obituaire des Blancs-Manteaux.
4° Marie, religieuse.
5° Juhaël, tige des Avaugour, seigneurs de Ker-groais, qui s'éteignirent au XVe siècle dans les maisons de Quintin et de Belouan. Les descendants de ces derniers prirent le nom et les armes d'Avaugour. Les Saint-Laurent d'Avaugour étaient un ramage des seigneurs de Belouan.
Henri II d'Avaugour, petit-fils d'Henri Ier, continua la lignée et eut pour femme Marie, fille de Louis de Brienne et d'Agnès de Beaumont. De 1294 à 1296, il servit sous la bannière ducale, lorsque le duc Jean II soutenait les Anglais contre le roi de France, ce qui explique sa présence à Ploërmel lors de la convocation de Y Ost. Le reste de sa vie se passa à recouvrer ses fiefs aliénés par son père et à défendre ses prérogatives seigneuriales en Goëllo. Il mourut en 1301 et fut enseveli auprès de son père aux Cordeliers de Dinan. Marie de Beaumont mourut en 1328.
Leurs enfants furent :
1° Henri, qui suit.
2° Guillaume, auteur des Avaugour du Parc et des Avaugour de La Roche-Mabille, branches qui s'éteignirent, la première au XVe, la seconde au XVIe siècle.
3° Jeanne , mariée à Geoffroi de Dinan-Montafilant, en juin 1287. Pour elle fut créée la seigneurie de La Roche-Suhart.
4° Agnès, épouse d'Alain de Rohan. Elle eut pour dot 400 liv. de rente sur le fief et manoir des Garenne de Goëllo, sons Châtelaudren.
5° Blanche, qui épousa Guillaume d'Harcourt, seigneur de la Saussaye, et mourut sans enfants en 1348.
6° Marguerite, mariée à Guillaume Paynel, seigneur de Hambye.
7° Marie , épouse de Jean Tesson, dont la dot se composait de 200 mines de froment, assignées sur des terres en Avranchin, possédées par les seigneurs de Goëllo.
Henri III d'Avaugour n'eut pas d'enfants mâles de son mariage avec Jeanne, fille de Jean d'Harcourt, maréchal de France, et de Jeanne de Châteaubriant. Ses trois filles furent :
1° Jeanne, qui épousa Gui de Bretagne, second fils du duc Arthur II.
2° Blanche, mariée à Henri de Léon.
3° Isabelle, mariée d'abord à Geoffroi de Châteaubriant, et en secondes noces à Louis, vicomte de Thouars.
Après la défaite des Français à Courtrai, Henri, appelé par le Roi, prit part à la campagne de Flandre en 1303. Il figurait en 1311 dans le partage des biens entre les enfants du duc Arthur et de la duchesse Yolande, puis assistait, en 1315, au Parlement tenu à Quimperlé, et l'année suivante à un tournoi qui eut lieu dans la ville de Tours. Il recevait, en 1327, de Gui de Bretagne, qui devait être son gendre, les châteaux de La Roche-Dérien et de Châteaulin-Pontrieux. Henri III d'Avaugour mourut en 1331 et fut enseveli aux Cordeliers du Mans, puis transféré au couvent du même ordre à Guingamp. En lui s'éteignit la branche aînée des seigneurs d'Avaugour, et dès lors l'histoire du Goëllo se confond avec celle du duché.
Jeanne d'Avaugour, fille aînée d'Henri III, succéda à son père jusqu'en 1334. Le duc de Bretagne, Jean III, donna en apanage à son frère Gui, en 1317, tout le comté de Penthièvre, sauf les châtellenies de Jugon et de Cesson, qui restèrent incorporées au domaine ducal, et tout le Trécorrois, moins le Goëllo possédé par les Avaugour. Gui de Bretagne ayant épousé, en 1318,
Jeanne, fille de Henri III d'Avaugour, l'apanage primitif de la maison de Penthièvre se trouva presque entièrement reconstitué par ce mariage, à l'exception des démembrements de Quintin, de Jugon et de Cesson. Ils eurent de leur union Jeanne de Bretagne, ou de Penthièvre, qui épousa, en 1338, Charles de Châtillon, dit de Blois, mort à Auray en 1364. Jeanne de Penthièvre mourut en 1384 laissant un fils, Jean de Châtillon, dit de Blois ou de Bretagne, marié en 1388 à Marguerite de Clisson, seconde fille du connétable. Leur fils, Olivier de Blois, leur succéda de 1403 à 1420. Par suite de la trahison de Chantoceaux, qui eut lieu le 12 février de cette année 1420, le duc Jean V confisqua le Goëllo et tous les biens de la maison de Penthièvre , qui furent réunis au domaine ducal , ou distribués aux seigneurs restés fidèles au diTc. A cette époque, la seigneurie d'Avaugour, qui rappelait par son nom la famille de celui qui avait lutté contre le duc, disparut de la carte de la Bretagne féodale. Il n'y eut plus qu'un fief de Plésidy entre les bois, et la forêt d'Avaugour fut réunie à la châtellenie de Châtelaudren. Cette période se prolongea jusqu'en 1480, date de la reconstitution du Goëllo par le duc François II, en faveur d'un bâtard, François de Bretagne, qu'il avait eu d'Antoinette de Maignelay, dame de Villequier. Mais le duc se réservait « les droits de souveraineté avec l'hommage lige, rachat, obéissance de la barre et juridiction de Goëllo », érigé alors en baronnie. Dans le cas d'extinction de la ligne mâle issue de François, cette baronnie devait passer à son frère Antoine, également bâtard. Le duc donna à sa nouvelle création le titre de baronnie d'Avaugour, sous prétexte, dit-il da ns leslettres derection, qu'Avaugour « estoit autrefois la première baronnie de nostre pays et duché. » Le Goëllo fut divisé en trois châtellenies : Châtelaudren, Lanvollon et Paimpol, auxquelles furent ajoutées celles de la Roche-Dérien et de Châteaulin-sur-Trieux, ou Pontrieux, détachées du comté de Guingamp. Les principaux fiefs relevant de Goëllo. soit en juveignerie, soit en ligence, étaient : la baronnie de Pordic, la vicomté de Coëtmen et Tonquédec, Guéméné en Goëllo, la vicomté de Pommerit, Frinaudour et Quemperguézénec, la vicomté de Pléhédel, la seigneurie de Goudelin, Kerdaniel, Locmaria, Ménehorre, Tressignau, Kerraoul, Langarzeau, Lanlefï, la vicomté de Tréveneuc, la Villemario. Tréguidel, Kéruséré, et la baronnie de Quinlin, la plus considérable de toutes, qui comprenait vingt-huit paroisses, et dont les mouvances étaient très étendues. Jusqu'au XIIIe siècle, il existe en Bretagne une fédération aristocratique composée de seigneurs indépendants, souverains chacun dans leurs domaines, tous barons du duc dont ils relevaient. Un édit de Geoffroi II, duc de Bretagne, rendu en 1189, et connu sous le nom de l'assise au comte Geoffroi, interdit le dé¬ membrement des baronnies que la tradition met au nombre de neuf , savoir : Avaugour, c'est-à-dire le Goëllo, Léon, Fougères, Vitré, Châteaubriant, Retz, La Rochebernard, Ancenis et Le Pont, cette dernière attri¬ buée soit à Pont-Château, soit à Pont-l'Abbé. Pierre de Dreux s'efforça d'anéantir cette féodalité, et il en résulta que le duc n'eut plus de Pairs, mais seulement des vassaux. Dans le courant du XVe siècle, sous l'influence des idées françaises que subissait la Bretagne, les ducs voulurent avoir leurs pairs comme les rois de France, et donnèrent une existence légale aux baron-nies qui jusque-là n'avaient guère été que légendaires ; Dom Lobineau, dans son Traité des Barons, les qualifie de chimères, et, de l'avis de Dom Morice, elles étaient encore à créer à cette époque. En 1451, on érigea en baronnies les seigneuries de Derval, Males-troit et Quintin ; François II, en 1463, rétablit celle de Lanvaux, et, par lettres du 24 décembre 1480, celle d'Avaugour-Goëllo. Sept ans plus tard, il créait celles de Coëtmen et de la Hunaudaie. Lors de la confiscation de 1420, Avaugour n'était considéré, par les Penthièvre eux-mêmes, que comme une simple seigneurie d'une importance très secondaire. Aussi semble-t-il étrange à première vue que le duc François II, en créant la première et la plus considérable baronnie de son duché, l'ait qualifiée du nom d'un château abandonné, situé en dehors du Goëllo, et qui, trente ans plus tard, était à l'état, de ruines ; car l'acte de la donation faite en 1453 par le duc Pierre à son neveu Jean de Laval, mentionne la motte et am-placement du chasteau d' Avaugour. Mais le nom de ce château avait été porté depuis 1211 par une famille qui se rattachait héréditairement à la dynastie des anciens ducs, et par conséquent à la race royale du IXe siècle, et ce nom rappelle de glorieuses traditions nationales. Le véritable but a donc été de faire revivre à la cour ducale l'illustre nom d'Avaugour. Le nouveau baron eut la préséance sur ses pairs, et le bâtard de Bretagne en transmit le nom et les domaines à sa postérité jusqu'à la fin du XVIIIe siècle.
Ce furent :
François II de Bretagne, comte de Vertus; François III;
En 1587, Odet, puiné du précédent ;
De 1587 à 1608, Charles, qui hérita de son frère :
De 1608 à 1687, Claude Ier ;
De 1637 à 1669, Louis ;
De 1669 à 1699, Claude II, frère de Louis ;
De 1699 à 1734, Henri-François, frère des précédents;
De 1746 à 1749, Marie de Bretagne, fille de Claude II et de Catherine Fouquet, succéda à ses neveux. Elle avait épousé Hercule-Mériadec de Rohan, prince de Soubise.
De 1749 à 1787, Charles de Rohan-Soubise, maréchal de France, petit-fils du précédent ;
En 1787, Victoire-Armande-Josèphe, mariée à son cousin, Henri-Louis-Marie de Rohan, prince de Guéméné.