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5 mars 2014 3 05 /03 /mars /2014 20:15
César et les Vénètes par R.-Y. Creston.

1°) Approche de la flotte romaine.

 

Si l'on admet que la flotte romaine avec ses alliés ait été réunie aux abords de l'embouchure de la Loire, faut-il croire qu'elle fit route directement vers l'entrée du Golfe du Morbihan, après avoir doublé la Pointe du Croisic ? Etant donné les conditions générales de navigation dans cette région et la crainte exprimée par César à l'égard de cette «mer tempétueuse», on peut penser qu'il aura dû hésiter à faire cette route avec toute sa flotte, qui risquait d'être dispersée, surtout les galères, par un coup de temps et d'être exposée, dans de mauvaises conditions pour ses navires à rames, à une attaque en masse des forts bâtiments à voiles des Vénètes, dont un certain nombre aurait pu s'embusquer à l'abri des îles de Houat ou de Hoedic. Ne faut-il pas plutôt penser que Brutus, après avoir rassemblé son armée navale lui fit longer les côtes à petite distance depuis la Pointe du Croisic jusqu'à l'embouchure de la Vilaine, où un ultime regroupement des unités, à l'abri des côtes de Billiers, à Damgan, voire en rade de Pénerf, pût avoir lieu ? De là, longeant les côtes pour masquer ses mouvements aux guetteurs vénètes qui pouvaient être établis sur le Grand Mont actuel (et de cet endroit ils ne pouvaient distinguer ce qui se passait sur cette portion de la côte), Brutus, tout en navigant plus facilement à l'abri des vents afin de ménager ses rameurs pour l'action décisive, pouvait aisément gagner le que brusquée, il avait l'assurance de pouvoir bénéficier de l'appui des légions à terre en s'échouant en cas de danger, comme il semble bien en avoir eu l'intention. Mais il fallait que ce lieu de rendez-vous fût assez proche de l'entrée du Golfe et offrît en même temps à la flotte romaine un abri suffisamment sûr. Après un examen approfondi des cartes marines de ce secteur et en me référant aux traditions nautiques des marins de cette région, il me semble que seule puisse être retenue, comme abri sûr pour la flotte de Brutus, la baie de Suscinio. Cette région de Suscinio semble bien être effectivement le point extrême de l'avance romaine et l'occupation du territoire vénète ne devait pas se prolonger plus loin à l'Ouest, car le fait que la flotte vénète put l'emprunter pour sortir en mer, prouve que l'entrée du Golfe était incontestablement libre. De plus, César ne pouvait s'aventurer plus loin vers l'Ouest sans risquer d'être attaqué sur ses arrières par des raids rapides, comme nous en avons connus durant la dernière guerre, lancés à partir de la rive sud du Golfe du Morbihan. Ainsi, à l'abri «sous la terre», la flotte romaine retrouvait une ambiance voisine de celle de la Méditerranée et elle pouvait disposer de ses galères avec efficacité. Je ne crois pas, comme le pense M. P. Emmanuelli, que le mouillage de la flotte romaine ait été situé aux abords immédiats de l'entrée du Golfe. Cet endroit n'est pas sûr par vents de Nord-Ouest ou Ouest et ce sont là des vents fréquents dans cette région. D'autre part, le fait que César ne parle pas de bords tirés par les Vénètes ne prouve rien. César n'a pas toujours relaté avec exactitude toutes les péripéties d'une bataille, surtout lorsque celles-ci pouvaient diminuer un tant soit peu son prestige. Et ce pourrait être ici le cas. En tous cas, toute sa relation de la bataille navale est sujette à caution.

 

2°) Sortie de la flotte vénète. 

 

Les guetteurs ou les éclaireurs vénètes qui devaient certainement suivre l'approche des Romains, signalèrent probablement aussitôt à leur armée navale que la flotte de Brutus était réunie en vue de Suscinio. Et, son rassemblement sans doute effectué aux premières heures du jour, la flotte vénète profitant de l'étalé et d'une brise qui devait sans doute se situer entre le N.N.W. et le W.N.W., sortit du «Port», c'est-à-dire du Golfe du Morbihan. Laissant porter plein vent arrière vers le S.E., les Vénètes auraient pu aller tirer leur bord au large de la Pointe du Grand Mont, en un point d'où ils pouvaient découvrir la flotte ennemie rassemblée en baie de Suscinio. Bordant bâbord amures, route au N.E., ils purent faire voile vers Suscinio. Je sais bien que l'on objectera la soi-disant impossibilité pour les navires de cette époque de faire du «plus près». J'ai déjà répondu à cette objection. Et ici, il ne s'agit pas en réalité de faire du plus près, mais presque du grand largue. Il n'est pas défendu de penser que, lorsqu'il vit foncer vers lui les puissants navires vénètes avec lesquels il n'était nullement habitué à se mesurer, et cela d'autant plus qu'il était un «débutant» en matière de guerre navale, Brutus ressentit sans doute une si vive émotion qu'il eut le réflexe de se rapprocher de la terre, où les légions pouvaient lui offrir soutien et au besoin refuge. Je ne pense pas que Brutus, en opérant pareille retraite, ait eu l'intention d'attirer vers des petits fonds les navires vénètes calant plus que ses galères et de les forcer à s'échouer. S'il en avait été ainsi, César n'aurait pas manqué de s'en "vanter. Mais en se retirant ainsi vers la terre. Brutus se trouvait de plus en eaux calmes, à l'abri du vent masqué par les collines, ce qui mettait les vaisseaux des Vénètes en situation difficile. Je crois que c'est au début du combat que devrait se placer l'épisode du calme plat providentiel pour les Romains, lorsqu'un certain nombre de navires vénètes, emportés par leur élan dans la poursuite des galères se retirant vers la terre, se trouvèrent encalminés et par conséquent incapables de manœuvrer correctement. C'est alors que les galères eurent tout loisir de les attaquer à deux ou trois par navire armoricain, comme l'a noté César. La suite, pour cette partie de la flotte vénète encalminée vn'a plus rien à voir avec la guerre navale. La lutte, à partir de ce moment, se réduit à un combat d'infanterie. Quant aux autres navires vénètes, il est vraisemblable que, lorsqu'ils virent les leurs encalminés, ils n'allèrent pas, à leur tour, commettre la même imprudence. Ils se tinrent sans doute à la limite du calme, combattant sous voiles ou attaquant les galères qui se présentaient et qui, séparées du reste de la flotte au début de la bataille, tentaient de rallier le gros de celle-ci vers la terre. Mais si cet en calminage permit aux Romains de monter à l'abordage des Vénètes, il ne put être de longue durée et il est vraisemblable, si l'on examine le récit de César, qu'un certain nombre (le plus grand nombre à mon avis) réussit à se dégager. C'est alors qu'ils virent la possibilité de profiter des risées, comme il s'en produit souvent aux limites même des calmes, pour tenter les manœuvres de dégagement. C'est sans doute à cet instant que les faulx, auxquelles César accorde tant d'efficacité, entrèrent en jeu pour empêcher les Vénètes de manœuvrer pour s'échapper. Mais c'est sur les ponts des navires abordés et sur lesquels ils combattaient que les Romains utilisèrent les faulx et non pas, pour les raisons que j'ai exposées précédemment depuis les ponts de leurs galères, pour abattre les drisses maintenant les vergues. Mais quel fut le rôle des navires alliés dans la bataille ? qu'ils aient rempli le rôle imparti en général aux troupes levées dans les peuples soumis, celui de troupes de choc. Peut-être les «alliés» furent-ils les premiers à subir le choc initial des Vénètes, celui au cours duquel les pertes en navires durent être les plus lourdes pour les Romains.

 

3°) Fin de la bataille.

 

César a donc, en principe, détruit la flotte vénète, dont «un bien petit nombre put, à la faveur de la nuit, regagner la terre». C'est donc avouer là que les navires ennemis n'ont pas été tous détruits et par conséquent que les Vénètes, à cette époque, ne sont pas encore totalement vaincus. C'est donc aussi reconnaître que ces rescapés n'ont pas regagné n'importe quelle terre, mais les ports de la confédération maritime vénétique et sans aucun doute le « Port » par excellence, c'est-à-dire le Golfe du Morbihan, ce qui prouverait une fois de plus que l'entrée de celui-ci était libre d'occupation romaine et que le danger d'une occupation immédiate n'était pas à redouter. S'il en avait été ainsi, les Vénètes risquaient de voir leur flotte prise dans une souricière et ils étaient sans doute d'assez bons marins pour ne pas risquer pareille imprudence. Quant aux navires vénètes pris à l'abordage par les Romains, que devinrent-ils ? Ceux-ci ne les coulèrent pas à l'éperon, puisque César reconnaît que les éperons de ses galères étaient impuissants contre les solides coques de ses ennemis. Les Romains les sabordèrent-ils ? les incendièrent-ils ? Il est permis d'en douter : c'étaient là des prises de valeur capables d'être armées par des équipages, nos pas romains, mais alliés, et d'être opposées à nouveau aux Vénètes. Encore fallait-il pouvoir les conduire en lieu sûr, dans un port assez proche pour les régréer, les réarmer. Or si les fameux ports des «cités», dont César s'était déjà rendu maître, avaient eu quelque importance, c'est vers eux que les prises auraient été conduites. Mais je pense que ces ports n'étaient en réalité que des abris précaires pour quelques barques, comme on en trouve un peu partout encore, donc impraticables pour des radoubages et des remises en état de forts navires. Au terme de cette étude, mon impression est que cette bataille navale n'a pas eu l'importance que César lui a donnée, et que son rôle dans le déroulement de la campagne contre les Vénètes est loin d'avoir été aussi décisif qu'il le prétend. Plus qu'une grande bataille de destruction comme Lépante ou Aboukir, ce fut un combat dont le nombre des navires qui y prirent part a été considérablement grossi pour les besoins du prestige de César. Les Vénètes avaient perdu effectivement une bataille, mais ils n'avaient pas encore perdu la guerre, en ce sens que toutes leurs forces ne furent pas détruites et que la lutte put durer un certain temps encore.

 

R.-Y. Creston. 

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