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14 mars 2021 7 14 /03 /mars /2021 06:23
Pierrot et Beaumont deux figures des troupes royalistes au moment de la Révolution.

A gauche Pierre-Maurice Robinault de Saint Régent, à droite Joseph Picot de Limoëlan.

Pierre-Maurice Robinault de Saint Régent naquit le 30 septembre 1766 de l'union de Jacques-Pierre Robinault de St-Régent et de sa troisième épouse Jeanne-Bonaventure de La Chenaye, dame des Timbreuc, il fut porté sur les fonts baptismaux le lendemain en l'église Saint-Jean-Baptiste de Lanrelas et passa son enfance au manoir familial de Saint-Régent en Lanrelas, ainsi qu'à la maison maternelle de la Mulotière à Mohon. Celui qui allait devenir le lieutenant de Cadoudal, était issu d'une famille de petite noblesse établie aux confins des paroisses Lanrelas et Trémorel. Mais dès sa naissance pour ainsi dire, il fut élevé au métier des armes : en effet, il avait été élève de l'école militaire avec Jean-François Le Nepvou de Carfort, une autre grande figure de la Chouannerie. Peu de temps avant la Révolution, il entra dans l'artillerie de marine, puis lorsque l'insurrection éclata à travers le royaume, il émigra en Angleterre, mais revint, organisa des bandes et passa à l'offensive dès juillet 1795. Il était à la tête d'une division comprenant trois ou quatre cents hommes essentiellement basée sur le département du Morbihan, et qui œuvrait autour de la forêt de Lanouée. Décrit comme un homme de petite taille à l'air chétif, au long nef et aux yeux bleus, il est désigné Pierrot, Sollier, Soyer, Pierre Martin ou Saint-Réjant. Arrêté en 1794, alors qu'on le dirigeait vers les prisons de Rennes, il s'évada en assassinant un des gendarmes qui l'accompagnait, peu après, alors qu'il était déguisé en femme, il fut incarcéré dans les geôles de Loudéac, et parvint à s'en échapper en défonçant le toit. C'est dans les mêmes moments qu'il fut inquiété dans le district d'Avranches en compagnie de son compatriote Beaumont alias Limoëlan, et un temps incarcéré.

 

Joseph-Pierre Picot de Limoëlan et sa sœur jumelle Renée naquirent le 4 novembre 1768 de l'union de Michel-Alain Picot de Limoëlan et de dame Renée-Jeanne Roche de Fermoy, et furent baptisés en l'église Saint-Nicolas de Nantes -leur famille maternelle d'origine irlandaise ayant acquis le domaine du Plessix en la paroisse de Pont-Saint-Martin, au diocèse de Nantes. Comme leurs frères et sœurs ils passèrent leur jeunesse tantôt à Nantes, à Rennes ou Limoëlan. Joseph Picot de Limoëlan était issu d'une famille aisée, ses aïeux avaient fait fortune comme armateurs. Voici sa description : « d'une taille de cinq pieds, deux à trois pouces -1,60 m, cheveux blonds, sourcils châtains, à la Titus, nez long, arqué au milieu, un peu aquilin, assez bien fait, peau blanche, figure effilée.. ». Étudiant, il avait eut pour compagnon de chambrée au collège de Rennes, un certain René de Chateaubriand. Tout comme son père, il adhéra à l'Association bretonne, cette structure contre révolutionnaire mise en place en 1791 par Armand Tuffin de la Rouërie. Au sein des réseaux de résistance, ses identités d'emprunt étaient variées : Beaumont, Durand, Tape-dur, Pourleroy, Tape-à-mort.

 

Saint Régent et Limoëlan, deux hommes connaissant le vieux terroir de Broons, devinrent des figures incontournables de cette résistance aux idées révolutionnaires qui allait prendre le nom de Chouannerie, du fait des cris du chat-huant, qui servait de ralliement entre les troupes royalistes. Saint-Régent était convivial, d'un esprit cultivé, sa bravoure, son courage et sa force le faisait chérir de tous ses compagnons d'arme, Limoëlan était pour sa part décrit comme froid, hautain, silencieux, mais aussi élégant, distingué et singulièrement myope. D'autres le décrive calme et doux. Ces deux gentilshommes auront mené dès leur jeunesse une vie aventureuse, connu des nuits sans repos, des hivers sans abri, proscris, traqués, mis hors la loi.

 

 

Quelques faits d'armes.

 

Dès le mois d'avril 1794, le Bois de Grénégan à Plumaugat et celui de Penguily à Lanrelas, mais aussi les forêts de la Hardouinais en Saint-Launeuc et celle de la Hunaudaye en Plédéliac, hébergeaient beaucoup de Chouans : près de deux cents pour le seul bois de Penguily, selon les dires de Charles Duval officier public de Plumaugat. Les troupes républicaines avaient sans doute provoqué la population locale en se livrant à des exactions. Le bataillon sous les ordres du Commandant Charles d'Astier débarqua à la mi-mai 1794 dans le Bourg de Plumaugat, et se livra à du vandalisme sur les objets de culte, symbolisant pour eux le fanatisme. A travers la campagne, une quinzaine de croix furent détruites  et dans l'église, les objets cultuels furent pareillement jetés à terre. En lisant les actes du registre d'état civil plumaugatais, on découvre quelques notes surprenantes, le 18 floréal an II, Gabriel Thomas, procureur du juge de Paix du District de Broons assisté du citoyen « Gui » Leclerc se rendant au Bois de Penguilly y découvrit le cadavre d'un homme ainsi décrit : 

 

« cadavre masculin, gisant par terre, à plat ventre, ayant les bras pliés sous la tête, la tête ensanglantée, de taille d'environ cinq pieds, âgé d'environ quarante cinquante ans, ayant sourcils noirs, cheveux noirs, plats et courts, figure allongée et pleine, front haut, nez gros & long, bouche grosse, menton al(l)ongé, barbe noire, fraiche et pleine, vêtu d"une veste de pluche rouge»

 

A n'en pas douter, la victime, un certain Mathurin Rissel, fermier de la Métairie de Grénégan avait été assassiné de deux balles dans la tête et d'un coup de sabre dans la nuque selon le rapport du citoyen Bajou, officier de santé de Meen le Libre, nom donné alors à la ville de Saint-Méen-le-Grand. L'individu fut massacré par des troupes royalistes.

 

Au cours du printemps de l'année 1795, les hommes de Pierrot de Saint Régent assassinèrent à Merdrignac un couple favorable aux idées nouvelles. Ledit Pierrot avait aussi des intelligences à Ploërmel, il osa avec ses trente ou quarante hommes entrer dans la ville de Loudéac et s'empara des fonds du receveur des finances. Un autre jour, il avait besoin d’aller à Rennes. Ayant rencontré deux charbonniers dans la forêt de la Hunaudaye, il emprunta leurs chevaux et se revêtit de leurs habits. Plus loin, deux gendarmes se trouvèrent sur son chemin.

 

-« Brave homme, lui demandèrent-ils, d’où viens-tu »

 

Le faux charbonnier, prenant à merveille les allures et le langage de son rôle, indiqua l’endroit d’où il venait.

 

-« Tu dois connaître Saint-Régeant ? » reprirent les gendarmes.

 

-« Oh ! dam, oui »

 

-« Comment est-il  ? » 

 

-« Un bel homme comme moi ! » répondit Saint-Régent, qui était de petite taille. Les gendarmes rirent, et leur interlocuteur poursuivit sa route, il entra dans Rennes, y passa le temps dont il avait besoin et regagna son canton.

 

Quant à Joseph Picot de Limoëlan il parvint à lever une troupe de quatre à cinq cents hommes et le 1er juin 1795, ils occupèrent le château de la Perchais situé entre Caulnes et Guitté. Nicolas-Victor Picot de Limoëlan, frère du belligérant, assista ce dernier ; il était connu sous son nom de guerre : Tape-à-Mort comme son frère Joseph, ledit Nicolas-Victor devait périr lors de l'expédition de Quiberon en juillet 1795. Ces troupes royalistes furent surprises dès le lendemain, par l'arrivée de soldats républicains alors basés à Saint-Jouan-de-l'Isle. Sous le commandement du général Michel Ney, ceux-ci se déployèrent et un combat acharné eut lieu : une trentaine de Chouans furent tués après avoir été pris en tenaille. L'affaire ne dura pas plus d'une demie-heure. Les Chouans venaient de Médréac, Guitté, Guenroc, Saint-Maden. Plusieurs d'entre eux restèrent sur le champ de bataille. On pouvait suivre les autres à travers les traces de sang. Ils s'en allèrent mourir dans leur village : un au Hirel, un autre qui était leur chef, au Lanmel.

 

« aujourd'hui seize prairial troisième année Républicaine par devant moy Jacques Jagu, procureur de la commune de Guitté département des Côtes-du-Nord, district de Dinan est comparu en la maison commune de Dinan la citoienne Anne Richard âgée de trente deux ans et demeurant du Tertre en cette commune qui m'a déclaré qu'il avoit été massacré hier au proche de la Perchais en cette commune,(çs)avoir Jan Regnault âgé de vingt sept ans, fils de feu Jan Regnault et Helainne Ecolan, ses père et mère époux de la ditte Anne Richard, a eté inhumé en le cimetière de cette commune aujourd'hui.... ».

 

D'autres victimes sont également mentionnées dans ce registre : Charles Tual, 21 ans ; Jan Regnault, 27 ans ; Pierre Tual, 36 ans.

 

Ces événements conjugués aux meurtres commis sur des patriotes, tant sur les hauteurs du Mené, qu'aux environs de Corseul, provoquèrent de graves inquiétudes chez les autorités du district de Broons qui demandèrent aide à celui de Dinan, et les troubles allaient se multiplier. L'an III de la République fut une année particulièrement mouvementée aux environs de Broons : les troupes royalistes brûlèrent les archives de Lanrelas et en cette même commune, dans la boulangerie du village du Rohan, ils tuèrent Gabriel Mauny, le curé constitutionnel. Les divisions Chouannes de Meen le Libre alias Saint-Méen sous le commandement de Saint-Régent, l'état-major de Dinan sous les ordres de Pontbriant et celui de Bécherel qui faisait partie de l'agencement de Joseph de Boulainvilliers ; toutes ces sections devinrent maîtresses des lieux. Elles venaient d'infliger une défaite sanglante aux troupes républicaines à la lisière du bois d'Yvignac ce 8 juillet 1795, du reste le château d'Yvignac fut pris par Limoëlan et ses troupes, ce sont les dragons basés à Lamballe qui les en délogèrent. Le foyer de la famille Robert du village de Couaclée en cette localité d'Yvignac était réputé pour héberger des Chouans. Quelques jours plus tard, le 29 juillet 1795 à Sévignac, on signalait une incursion royaliste dans le bourg, conduite par le même Limoëlan -un calvaire implanté au lieu dit Villaussant commémore l'événement, pareille cavalcade se produisit le 6 août 1795 à Mégrit avec l'incursion des troupes du dénommé Rodolphe alias Malo Colas de La Baronnais. Lanrelas fut le théâtre d'une nouvelle visite des hommes de Saint-Régent le 29 septembre 1795 :

 

« « Aujourd’hui premier vendemiaire l’an cinq de la république française, environ les quatre heures du soir, par devant moi, Jean Juhel, officier public de la commune de Lanrelas, canton de Plumaugat, département des Côtes du Nord, élu le sept janvier mille sept cent quatre-vingt-treize, vieux style, pour refaire les actes destinés à constater les naissances, les mariages et les décès, est comparu dans la chambre commune, Ollivier Boivaint, cultivateur âgé d’environ vingt-six ans, demeurant au village de la Houinelais, domicilié dans ladite commune. Lequel, assisté de Pierre Thominiaux et de Julien Galland, tous deux cultivateurs, le premier âgé d’environ dix-sept ans demeurant audit village de la Houinelais et le second âgé d’environ vingt-six ans demeurant au village de la Guenay, a déclaré à moi, officier public que Yves Leray âgé d’environ trente ans fils de feu Jean Leray & de défunte Perrine Rouxel, fut pris à la Noé du Kerpont le 5 Août 1796, vieux style, par trois personnes armées dont l’un se nomme Grand Blanc, l’autre Le Limousin et l’autre Leray se disant tous trois de la division de Pierrot chef de chouans, et de là conduit chez François Leray son oncle, et de là pris et conduit dans le bois de Penguilly dans ladite commune de Lanrelas, ont après lui avoir fait plusieurs questions, ils l’ont tué. D’après cette déclaration que les dits Ollivier Boivaint, Pierre Thominiaux et Julien Galland auront certifiée véritable, je rédige le présent acte que lesdits Ollivier Boivaint et Pierre Thominiaux ont signé avec moi et ledit Julien Galland qui a déclaré ne savoir signer. Fait en la chambre commune de Lanrelas, le susdit jour et devant six mots en interligne approuvés ». Signatures : Ollivier Boivaint, Pierre Thominiaux & Jean Juhel.

 

Les troupes royalistes continuèrent de semer le trouble l'année suivante, le 14 brumaire de l'an IV -5 novembre 1795, il y eut l'assassinat du juge de paix de Plénée-Jugon : un certain François Pringault, mais aussi son greffier, un dénommé Boisnard, ainsi qu'un ouvrier nommé Calvel. En 1800 et 1801 les troupes du royaliste Félix du Jardin firent de nouveau irruption à Lanrelas.

 

 

Quelques faits autour de Broons.

 

Le 12 Thermidor an III de la république, les administrateurs du district de Broons écrivaient :


 

 «  Nous nous empressons de vous transmettre un fait qui honore le patriote qui l'a exécuté. Le 9 thermidor présente année, le citoyen Guillaume, officier de santé, domicilié à Broons, était allé pour porter des secours à l'humanité souffrante dans la commune d'Eréac, éloignée de 2 lieues d'ici, faisant chemin pour retourner chez lui, vers les 10 heures du soir, le nommé Jean Guilloux demeurant en cette susdite commune avec lequel il conférait, quant il aperçut six hommes à lui inconnus, vêtus les uns de vestes blanches, les autres d'habits..qui mangeaient et buvaient. Il éprouva d'abord quelque inquiétude et cherchant à se convaincre si s'étaient des déserteurs ou des chouans, dans les greffes desquels il se croyait d'abord tombé mais armé par son patriotisme et muni d'un fusil à 2 coups. Il leur demanda d'abord  avec fermeté qui ils étaient, d'où ils venaient et où ils allaient. Ils lui répondirent qu'ils étaient sortis de Brest et qu'ils allaient en Mayenne.  D'après cet aveu, le brave patriote leur dit d'un ton ferme :


 

- « Vous êtes des déserteurs, j'en suis sûr. Je savais que vous étiez ici et je viens vous prendre et vous enjoins au nom de la loi de me suivre sans résistance, sans quoi je vais faire tomber sur vous deux colonnes de militaires qui sont près d'ici et que j'accompagne en qualité de commissaire civil. Les coupables lui ayant répondu qu'en effet ils étaient déserteurs du 2ème bataillon au III régiment et que puisqu'ils étaient pris, ils allaient allé de suite avec lui, d'après ces réponses, il somma Jean Guillou de se mettre à leur tête et de leur montrer le chemin de Broons tandis qu'il restait derrière eux pour les surveiller. Aussitôt Guilloux se mit en devoir d'obéir. Alors il rangea les six déserteurs deux à deux en leur défendant de causer, ce qu'ayant tous religieusement observé; ils arrivèrent au lieu du district sans qu'un seul d'entre eux ait tenté de s'échapper ».


 

- « Nous avons cru C.R. qu'un trait de ce genre devait être connu dans la République, afin de ranimer le courage, puisque il démontre qu'un Républicain ferme saura toujours en imposer aux criminels. Après avoir maltraité ce jeune homme qui était arrivé chez lui le soir même pour y prendre son linge à son usage; ils le forcèrent de les conduire chez le citoyen Marc Oger, cultivateur en Sévignac et acquéreur de la métairie nationale du Mézeray; là ils maltraitèrent ce vieillard et  lui volèrent de l'argent une infinité de hardes, linges et étoffes, et ils ordonnèrent d'entretenir d'autres prêts à leur donner ».


 

« La même nuit, ils furent chez Jean Ruellan au Plessix Gautron, aussi acquéreur de la métairie de ce nom, où après avoir pillé tous ses effets ils lui lièrent ses mains derrière le dos et lui firent promettre de luy compter l'argent de quatre chevaux dès qu'il les aurait vendu. Idem chez Jean Priou, acquéreur du moulin du Plessix où il demeure. Ils ont tout emporté, argent et meubles. Idem chez Jean Lécuyer, acquéreur de la métairie du Chauchix, où ils ont pris argent, et meubles et dans la même nuit, ils se sont rendus chez Jean Davy, acquéreur de la métairie du Manoir, où ils ont pris, souliers, linges et autres effets, ce dernier était absent, ils ont forcés son épouse d'aller emprunter trente six livres pour leur donner. Idem chez Jacques Davy, où ils n'ont rien laissé jusqu'aux volailles. Idem chez le citoyen Lohier, à qui ils ont bu beaucoup d'eau de vie sans payer. Ces brigands ont vexés ces honnêtes cultivateurs, pères de familles, ils étaient tous très bien armés, et tant de la division  du trop fameux Legris Duval.  Certifié d'après la déclaration qui m'a été faite. » Signé : Huet commissaire du gouvernement.

 

Merci aux Archives départementales des Côtes d'Armor

 

L'attentat de la Rue Saint-Nicaise.

 

Avec l'affaire de la Mirlitantouille à Plémy on pensait avoir atteint l'apothéose, car cette embuscade tendue par les Royalistes aux Républicains fut particulièrement sanglante ce 17 juin 1798, pourtant, une autre attaque allait devenir affaire d'état, et parmi les tueurs dépêchés pour commettre l'attentat : Saint-Régent et Limoëlan. Le projet préparé par Cadoudal avait pour objectif d'éliminer le Premier Consul Bonaparte, toutefois les opinions divergent sur ce point, il semblerait selon les rapports que les agents de Georges Cadoudal soient arrivés à Paris sans projet déterminé et qu'apprenant la nouvelle, celui-ci serait entré en colère d'une telle initiative.

 

Voici un rapport sur la préparation de cet attentat :

 

« Le vingt-six, ou le vingt-sept frimaire dernier, François Jean, dit Carbon, acheta, des fonds et de l'ordre de Limoëlan, un cheval et une charrette au citoyen Lambel, marchand grainier, demeurant à Paris, rue Meslée. Deux ou trois jours après, il conduisit ce cheval et cette charrette rue de Paradis, numéro vingt-trois, dans une remise qu'il avait louée pour les recevoir. Limoëlan se rendit plusieurs fois dans cette remise, et lui-même et Carbon firent en secret toutes les dispositions que leur Infâme projet nécessitait. Le premier nivose, Carbon se rendit chez le citoyen Baroux, tonnelier, rue de l'Echiquier, numéro vingt deux, pour faire mettre quatre cercles de fer, pour, dit il, y renfermer de la cassonade. Le citoyen Louviau garçon de ce tonnelier, fit cet ouvrage, dont le prix fut payé pour Carbon. Tout étant pour ainsi dire préparé le trois nivôse. Tout étant pour ainsi dire préparé le trois nivôse, vers les quatre heures du soir, Carbon se trouva à ladite remise, rendez-vous indiqué la veille par Limoëlan. Celui-ci arriva presque au même instant Carbon mit le cheval à la charrette., et lui et Limoëlan, vêtus de bIouses bleues de charretier, la conduisirent à la porte Saint-Denis, où deux hommes, dont on n'a pu savoir es noms, prirent, par l'ordre de Limoëlan, le tonneau cerclé en fer qui était sur la charette, l'emportèrent en s'avançant dans la rue Saint-Denis, et revinrent ensemble très-peu de temps après, accompagnés de Saint-Réjant, égarement vêtu de blouse bleue de charretier, menant sur une charrette à bras le même tonneau mais qui parut extrêmement plus pesant, et le replacèrent sur la première charrette que Carbon avait fait garder dans cet intervalle. Les deux hommes inconnus se retirèrent, et Limoëlan, Saint-Réjant et Carbon conduisirent la charrette jusqu'au bout de la rue Neuve-Saint-Eustache. Chemin faisant Limoëlan fit ramasser les grès et pierres qu'il apercevait dans la rue, pour mettre sur ladite charrette.. Arrivés près la rue Montmartre, Limoëlan renvoya Carbon, continua la route avec Saint-Réjant, en dirigeant la charrette vers la place des Victoires. Ce sont les débris de cette même charrette, le cheval qui était attelé, et son harnais, qui furent trouvés à l'endroit de l'explosion, être connus pour avoir transporté la machine infernale... ».

 

Ce 24 décembre 1800 sachant que le cortège consulaire devait se rendre à l'opéra en empruntant la rue Saint-Nicaise, les terroristes aidés d'un dénommé Carbon firent l'acquisition d'un cheval, d'une charrette chargée de barils remplis de poudre et de ferraille, le tout dissimulé sous du trèfle. L'attelage devait obstruer la rue Saint-Nicaise, mais les premiers véhicules constituant le convoi parvinrent à contourner l'obstacle et à déjouer le sinistre projet. L'explosion épargna Bonaparte et son épouse, mais on déplora quatre victimes et treize blessés graves et beaucoup de dégâts. Très vite la police de Joseph Fouché arrêta deux des auteurs de l'attentat : Saint Régent et Carbon. Limoëlan bénéficiant d'un réseau d'amis influents, parvint à se cacher quelques temps à Paris avant de regagner la Bretagne. Là-bas, à Sévignac, il disposait d'une cachette aménagée dans le salon du château de Limoëlan, c'est là qu'il se dissimulait lors de la descente des autorités du District de Broons. Puis, quelques mois plus tard, incognito, il embarquait à bord du Richmond qui mouillait dans le port de Saint Malo. Marie-Thérèse Picot de Limoëlan, la sœur du fugitif, Jean-Baptiste de Chappedelaine son beau-frère, se rendaient en Amérique pour y recueillir un héritage providentiel. Ils étaient accompagnés de deux de leurs domestiques : Victorine Aubin, une jeune personne de Sévignac âgée de 19 ans et Pierre-Jacques Renier, l'homme de confiance du couple âgé de 35 ans. En réalité sous cette dernière identité se cachait l’homme de la machine infernale, Joseph Picot de Limoëlan. Le hors-la-loi échappa ainsi à la justice de Fouché, et gagna le Nouveau Monde où un destin inédit l'attendait. Il vécut un temps de son talent de peintre et réalisa des miniatures, puis il entra dans les ordres et renonça ainsi à fonder foyer, cherchant sans doute à expier les crimes commis sous la Chouannerie. Il devint aumônier pour le Couvent de la Visitation à Georgetown, un quartier de Washington. Nommé directeur de ce couvent il y fit construire à ses frais un pensionnat pour l’éducation de jeunes personnes, une chapelle dédiée au Sacré-Cœur, tout en contribuant à un externat gratuit pour les enfants pauvres. Il s'éteignit le 29 septembre 1826 et repose depuis dans la crypte de la chapelle. Dans son testament, il demanda à ses sœurs de détruire ses cahiers personnels.  

 

Voici le portrait des deux accusés, dressé par le tribunal :

 

François Jean, dit Carbon, dit le Petit-François, dit Constant, âgé de quarante-cinq ans, ancien marin, ayant été employé parmi les Chouans, aujourd'hui sans état, natif de Paris, y demeurant rue Saint-Martin, numéro trois cent dix. Signalement : Taille d'un mètre soixante centimètres cheveux et sourcils châtains, front haut, yeux gris, nez et bouche ordinaire, menton fourchu, et visage ovale

 

Pierre Robinault Saint-Réjant, dit Pierrot, dit Pierre Martin, dit Soyer ou Sollier, âgé de trente trois ans, natif de Laurela, département des Côtes du Nord, ancien officier de marine, chef de division de l'armée de Georges, actuellement sans état et sans domicile connu, ayant demeuré à Paris, rue des Prouvantes, numéro cinq cent soixante-quatorze, et rue d'Aguesseau, numéro quinze cent trente-six. Signalement Taille d'un mètre soixante centimètres cheveux et sourcils châtains, front haut, yeux bleus, nez pointu, bouche moyenne, menton pointu et visage affilé.

 

 

Le procès et la condamnation à mort.

 

Le Procès instruit par le Tribunal criminel du département de la Seine, contre les nommés Saint-Réjant, Carbon et autres prévenus de conspiration contre la personne du Premier Consul. Ces documents sont extraits de la base de données textuelles Frantext réalisée par l’Institut National de la Langue Française (InaLF). Les titres, donnés pour faciliter la lecture, sont de notre fait. La personne désignée par le prénom « Georges » est Cadoudal. Saint-Réjant a dit d’abord qu’il était venu à pied à Paris la veille de son arrestation, c’est-à-dire, le 7 pluviôse ; ensuite il a dit être venu par la voiture d’Évreux, il y a deux ou trois mois, pour chercher de l’ouvrage sur les quais et les ports, et pour passer des batelets. Il a dit d’abord qu’il ne connaissait pas Leguilloux et sa femme ; ensuite il a avoué les connaître et avoir logé chez eux ; il a dit n’avoir feint ne pas les connaître, que dans la crainte qu’ils ne fussent compromis. S’expliquant sur la journée du 3 nivôse, il a dit que ce jour-là il alla se promener il ne sait où , depuis six heures et demie du soir jusqu’à sept heures et demie ; qu’ il ne rentra pas plus malade qu’à l’ordinaire ; qu’il ne reçut personne. Il a dit ensuite qu’il rentra à huit heures et demie, fort incommodé de l’explosion ; que Limoelan, dit Beaumont, vint le voir, et lui procura un médecin et un confesseur ; qu’ il fut saigné, et dit à Limoelan et à Collin que s’étant trouvé rue de Malte lors de l’explosion, des tuiles lui tombèrent sur le corps ;; qu’il se trouva dans cette rue en allant au théâtre français. Il a dit qu’il ne s’est jamais fait conduire en cabriolet rue Saint-Nicaise ; il convint ensuite s’être fait conduire à la maison Longueville, place du Carrousel, pour savoir si un nommé Bernard n’y demeurait pas. Il a dit qu’il n’avait eu dans sa chambre, chez la veuve Jourdan, ni poudre, ni blouse ; il avoue ensuite avoir eu de la poudre très fine pour la chasse, et une blouse dans laquelle Joyau et Saint-Hilaire enveloppèrent ses effets qu’ils portèrent chez lui. Il annonce que ces deux individus lui dirent avoir acheté cette blouse pour le carnaval. Il convient que Limoelan dîna avec lui le 3 nivôse, et ajoute que lui Saint-Réjant est sorti seul pour aller au théâtre de la rue de Thionville ; qu’ayant appris dans un café, au coin de cette rue , qu’on donnait une pièce nouvelle au théâtre français, il retourna sur ses pas pour y aller, en prenant par la rue de Malte. Il méconnaît la lettre d’écriture contrefaite, et le billet trouvé dans sa chambre, et dit que le défaut de papiers en règle avait été cause de son déguisement, et de son silence sur les personnes qui l’avaient logé ; au reste, il a prétendu n’avoir eu aucune part à l’explosion du 3 nivôse.

 

Reconnus coupables les citoyens Saint-Régent et Carbon furent condamnés à mort et guillotinés à Paris le 20 avril 1801. Saint-Régent était ainsi dépeint par M. de Kérigant comme quelqu'un d'un caractère très doux, comme très intelligent, très bien élevé, et l'un des ennemis les plus acharnés de la Révolution. Très instruit dans les choses de son métier, ce petit homme vaillant se montrait enjoué, porté sur la plaisanterie. Thérèse-Mélanie Orieulx sa belle-sœur, arrêtée le 8 ventôse à l'hôtel de Mayenne fut remise en liberté huit jours après l'exécution de Pierrot, pourtant elle avait également prit part aux chouanneries. Elle écrivit alors à Fouché afin d'implorer sa pitié pour une pauvre mère restée à Paris malade et sans ressources avec cinq enfants en bas âge et un sixième en attente. Le Ministre donna alors la permission à la dite Orieulx de quitter Paris et de regagner la Bretagne. Thérèse-Mélanie Orieulx née Ropert de Loyat avait épousé Ange-César-Bonaventure Orieulx de la Porte qui était né en 1754. Celui-ci était le frère utérin de Pierre-Maurice Robinault de Saint Régent, ils étaient fils de Jeanne-Bonaventure de La Chenaye.

 

 

Bio-bibliographie

 

-La Seconde Chouannerie Juin 1795-Juillet 1796, article publié dans la Société d’Émulation des Côtes-du-Nord en 1933

 

-Le Morbihan et la chouannerie morbihannaise sous le Consulat. Tome 4. M. Émile Sageret

 

-La Machine Infernale de la Rue Nicaise (nivôse an IX). M. Jean Lorédan.

 

-La Mirlitantouille. M. G. Le Notre.

 

-Mémoire sur épisode de la Révolution dans le Bas Maine. Mme Moullin de la Blanchère.

 

-Histoire du pays de Dinan de 1789 à 1815. l'Abbé Auguste Lemasson.

 

-Diocèse de Saint-Brieuc pendant la période révolutionnaire, tome I. l'Abbé Lemasson.

 

-Registres d'état civil de Plumaugat, Guitté et de Lanrelas.

 

-Georges Cadoudal et la chouannerie. Georges de Cadoudal

 

-Eléments d'Histoire et d'Archéologie, communes de l'arrondissement de Dinan

 

-La Chouannerie dans le département des Côtes-du-Nord durant le Directoire. M. J. Letaconnoux.

 

-La Chouannerie. M. Emmanuel Neveu.

 

-Georges Cadoudal Et La Chouannerie. Louis Georges de Cadoudal

 

-Archives départementales des Côtes d'Armor.(Lm 5,80).  

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