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10 octobre 2015 6 10 /10 /octobre /2015 14:52

Ces faits sont de la première moitié de novembre 1719. Le conseil de guerre tenu par les conjurés au Pontcallec avait été fort sérieux : on y avait agité la question de savoir lequel valait mieux, -ou de lever de suite au grand jour le drapeau de la guerre, sans plus attendre la venue des Espagnols, sur qui pourtant l'on comptait toujours, -ou de continuer la tactique suivie jusqu'alors qui était de se mettre hors d'atteinte des troupes du Régent sans engager le combat, en réservant toutes ses forces et tous ses moyens d'action pour le moment où viendraient les Espagnols. Ce dernier parti prévalut, malgré quelques protestations en faveur de l'autre, dont les plus vives furent celles de M. de Montlouis...C'est à ce sujet que Pontcallec lui adressa l'instruction suivante, en forme de lettre, où tout en blâmant un peu son imprudence, il semble tout prêt lui-même à soutenir Montlouis dans la voie où il s'élance. Lettre que M. de Pontcallec a fait écrire de la main de MM. de Leselay frères, adressée à M. de Montlouis. « Suivant la résolution que vous avez prise, Monsieur, d'assembler une troupe de trois cents hommes que l'on m'a dit être chez vous, il me semble que vous ne deviez pas rendre la chose si publique, et qu'il auroit été plus à propos d'entretenir (ces hommes) séparément dans des villages, pour vous en servir dans l'occasion de la descente de la flotte, au lieu qu'à présent vous n'avez plus qu'un parti à prendre, qui est celui d'agir par un coup de main ; car vous ne devez pas douter que le maréchal, sachant le lieu de votre assemblée, ne vous fasse charger incessamment. Pour obvier a un inconvénient si triste, je ne vois plus sûr que celui de tomber incessamment sur les quartiers du Faouët, de Carhaix et de Quimper, où il n'est resté que deux compagnies, les autres cinq ayant été envoyées à Brest. De Quimper vous pourrez replier sur Quimperlé, sur Hennebont et sur Lorient, où vous trouverez de l'argent assez. M. du Couador, qui demeure dans Plemeur et que vous ferez avertir auparavant, vous servira grandement dans cette expédition. Il ne faut pas oublier de faire sonner le tocsin de gré ou de force dans toutes les paroisses qui se trouveront sur votre chemin, de ville en ville. Il faudra permettre un peu le pillage à vos gens sur les maltôtiers et gens d'affaires et vous saisir de leurs caisses pour la subsistance de vos troupes, et avoir grande attention qu'il ne soit fait aucun préjudice ni tort aux habitants et paysans de la campagne, bourgs et bourgades où vous passerez, excepté contre ceux que vous trouverez en armes pour s'opposer à vos desseins. Il faudra faire bon quartier aux soldats qui voudront prendre parti avec vous, et il ne sera pas hors de propos de faire courir des billets dans leurs garnisons pour les avertir qu'ils seront bien reçus et payés à huit sols par jour. Il ne convient pas de faire quartier aux officiers, excepté à ceux du premier rang pour nous servir de cartel en cas de besoin. Je ne doute pas qu'une action si hardie n'ait un lion succès, étant conduite avec prudence et hauteur ; car il est certain que vous n'aurez pas fait dix lieues en armes, pillé quelques villes et battu quelques troupes, que vous vous verrez accompagné de plus de dix mille hommes, ce qui sera suffisant pour tenir en bride les troupes du maréchal jusques à l'arrivée de la flotte, dont il ne sera pas difficile alors de favoriser la descente ; n'oubliant pas, lorsque vous marcherez à votre expédition, de faire avertir les autres évêchés, qui ont touché de l'argent pour lever du monde, de venir se joindre avec ce qu'ils en auront. Je crois, dans la situation où vous êtes, que ce projet est faisable. Sinon, il faut congédier vos troupes, ce qui me paroît d'autant plus risquant pour vous que le maréchal est informé de votre assemblée. Ainsi vous ne pourrez parer cette imprudence que par un coup hardi et hasardeux, dans lequel, au fond du compte, vous ne risquez pas tant qu'en posant les armes. Consultez entre vous. MM. de Talhouët et du Coëdic sont gens de service, qui pourront conjointement avec les autres voir ce qui sera bon à faire dans l'occurence présente. » Ce plan n'était pas mauvais, et un ou deux mois plus tôt il eût réussi ; maintenant il venait trop tard. Toute la province était, à la lettre, encombrée de troupes, bien plus que ne le croyait Pontcallec, et le maréchal, informé que le départ des autres chefs avait mené les conjurés à concentrer toutes leurs forces de résistance, sous les ordres de Pontcallec, dans l'évêché de Vannes, y concentra pareillement tout ce qu'il avait de troupes, et les disposa de façon à cerner en quelque sorte les bandes insurgées d'une muraille de régiments. Ainsi enveloppés de toutes parts, et perdant enfin l'espoir de cette trompeuse flotte d'Espagne dont l'attente les avait si fatalement abusés, tous les conjures comprirent avec une douleur poignante que la lutte était devenue absolument impossible.

 

 

Pontcallec

 

Montlouis en versa des larmes de rage, mais il le sentit lui-même, et après quelques escarmouches insignifiantes, toutes les bandes furent licenciées, et leurs chefs ne cherchèrent plus que des cachettes capables de les soustraire aux sbires de M. de Montesquiou. Quelques-uns furent pris; d'autres, comme Talhouët, se rendirent sur promesse d'avoir la vie. Mais le maréchal estimait n'avoir rien fait, tant que le marquis de Pontcallec n'était pas en son pouvoir. Il lança donc contre lui une colonne de quatorze cents hommes de troupes choisies et plusieurs grosses escouades de maréchaussée, le tout aux ordres de M. de Mianne, commandant du château de Nantes; il promit même un brevet de brigadier des armées du Roi à qui pourrait livrer le marquis mort ou vif, -et le marquis continua d'échapper à ses poursuites, grâce au dévouement reconnaissant et sympathique des braves laboureurs et de tous ceux qui n'ont ni biens ni rentes, dont il avait voulu alléger le fardeau. Quant à M. de Pontcallec, il était insaisissable. Dans tout le pays de Vannes, et surtout dans les cantons de Guémené et d'Hennebont, le marquis trouvait autant d'asiles que de manoirs et de chaumières, autant d'amis que d'habitants, autant de dévouements que d'amis. Pour affaiblir le nombre ou l'ardeur de ces dévouements, la Chambre Royale, qui siégeait alors à Nantes, rendit, le 29 novembre 1719, un arrêt portant que quiconque donnerait asile à un conjuré ou même seulement s'abstiendrait d'en dénoncer la présence sitôt connue, serait déclaré complice de la conjuration et passible des plus grosses peines. Mais cette menace ne put rien contre tant d'amitiés généreuses, et le marquis continua de trouver partout de sûrs asiles. A la fin pourtant il fut trahi, mais non par ses hôtes, non point par les paysans : -Un paysan ne l'eût pas trahi, dit le chant populaire, quand on lui aurait offert cinq cents écus! -Il fut trahi par un gueux de la ville, qui le connaissait pour avoir mainte fois sans doute reçu l'aumône de sa main. En faisant une tournée de quête sur les champs, ce misérable vint frapper à la porte du presbytère de Lignol, qui, comme celles de tous les presbytères de Bretagne, ne restait jamais fermée à de pareils hôtes. C'est là que se tenait alors M. de Pontcallec, caché sous le grâcieux costume des paysans de Guémené. Le mendiant le vit dinant avec le recteur, le reconnut à travers son déguisement; et peu de temps après le vendit, pour quelques pièces d'or, à une escouade de dragons qui battait la campagne. En un instant les dragons sont à Lignol, et le presbytère investi, envahi, fouillé. Le recteur, M. Croizer, avait caché dans son lit M. de Pontcallec ; bientôt on l'y a découvert; mais d'un bond, le marquis se redresse, s'élance, s'arme de deux pistolets qu'il avait à sa ceinture, et menaçant les assaillants s'apprête à vendre chèrement sa vie. A cette vue le bon vieux prêtre, le pauvre recteur tremblant se précipite à ses pieds, le supplie avec des larmes, au nom de Notre Sauveur, de ne pas verser le sang : Pontcallec jette ses pistolets et se livre. On le conduisit, ainsi que le curé de Lignol, d'abord au Guémené et ensuite au château de Nantes, où nombre de prisonniers se trouvaient déjà renfermés : car on arrêtait alors, dit Robien, des gens de tous états sur la moindre dénonciation, et en de pareilles circonstances on sait combien de haines privées, basses, lâches, inavouables, s'empressent de se soulager sans péril, sous le masque d'un zèle outré pour le bien de l'Etat. L'arrestation de Pontcallec eut lieu environ la mi-décembre 1719.

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